Une fois passé l’enthousiasme, on regrettera sûrement longtemps le “coup d’éclat” ayant amené le jury du 61ème festival de Cannes, mené par son président Sean Penn, à décerner unanimement la Palme d’or au film français Entre les murs. Un prix prestigieux prenant des allures d’exploit national, la France n’ayant pas décroché la distinction “à domicile” depuis 21 ans. Pourtant, cette victoire pose quelques questions de fond. La victoire de Laurent Cantet ne marquerait-elle pas la fin d’une époque, et la victoire de l’imagerie télévisuelle sur la création cinématographique ?
Evitons d’emblée tout malentendu : Entre les murs est un bon film, réussi dans son genre. « Il s’agit d’un portrait de la jeunesse d’aujourd’hui, pas d’un film à message social », comme l’a expliqué François Bégaudeau, l’homme à tout faire du film (auteur du livre original, co-scénariste, et acteur principal. Ouf). De ce point de vue là, qui est aussi celui du livre, Laurent Cantet pouvait donner libre cours à son talent de cinéaste du réel, peignant avec talent et économie le film dans lequel il s’immerge. Entre les murs, donc, est un film agréable, qui n’a pas l’ambition de porter un véritable message. Une simplicité qui n’entache pas pour autant sa réussite. Un “documentaire de fiction”, puisque fiction il y a, mais qu’elle nous plonge dans un réel bien… réel.
Jugez plutôt : Bégaudeau s’est inspiré de sa propre expérience de prof pour écrire le livre éponyme, il l’a co-adapté pour le cinéma. Et interprété le rôle principal, ce qui boucle la boucle – et revient à lui faire tenir son propre rôle. Les élèves du film sont ceux d’une classe d’un lycée du XXème arrondissement de Paris. Enfin, le film, par sa nature même, est une succession de huis clos laissant peu de place aux initiatives de réalisateur : la salle de classe, bien sûr, mais aussi celle des professeurs, ainsi que la cour de récréation sont quasiment les seuls décors du film. Au final, Entre les murs a donc peu de message, et presque aucune initiative de mise en scène. Est-ce encore un film ? Mais il remporte tout de même la Palme d’or du plus grand festival de cinéma au monde.
Les cinéphiles peuvent donc légitimement se sentir floués par une telle décision. Car Entre les murs n’est dans la sélection qu’un exemple parmi de nombreux autres de films à interpeller le réel. Valse avec Bashir de Ari Folman, grand perdant du festival, le fait avec une autre maestria et originalité. Ou encore les deux films italiens, Il divo et Gomorra qui, bien que présents au palmarès, auraient autrement mérité la récompense suprême. La renaissance du cinéaste italien était par ailleurs un événement autrement plus marquant à distinguer que les petites histoires de François Bégaudeau.
La Palme d’Or 2008 aura donc normalisé une tendance qui, victoire après victoire, menace la création cinématographique : le mariage pernicieux entre documentaire télévisé et film. Pour le meilleur et pour le pire.
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