Très bel interview de Gian Domenico Borasio dans Le Temps. Il y décrit de manière assez juste la situation en Suisse et en Allemagne concernant l'assistance au suicide. En même temps, il trace les limites qu’ils souhaiteraient voir dans le cadre légal suisse concernant l’aide au suicide. Cette interview a le mérite d’une grande clarté. Allez la lire et faites-vous une idée. Alex Mauron lui a répondu dans une tribune libre qui mérite elle aussi la lecture. Là aussi, faites-vous une idée.
L’interview de Gian Domenico Borasio est en fait assez représentative d’une certaine idée médicalisée de ce que devrait être la question de l’aide au suicide. Dans cette optique, le suicide assisté est conçu comme un dernier recours face à une souffrance humaine à laquelle la médecine ne sait pas apporter d’autres réponses. C’est une des possibles étapes finales face à une maladie incurable et devenue insupportable. Cette aide concerne donc des malades uniquement, uniquement en phase terminale, et seulement lorsque toutes les options thérapeutiques ont été explorées, tentées, et dépassées.
Limiter le suicide à de tels cas représente en Suisse une des formes du statu quo. Les directives médico-éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales prévoient elle aussi que l’assistance médicalisée au suicide ne soit justifiée qu’en cas de maladie terminale.
À première vue ça a l’air rassurant. Une maladie terminale, pour beaucoup d’entre nous c’est ce que l’on s’imagine comme la pire des choses possibles. Du coup, c’est le cas de figure où l' on s’imagine, peut-être plus facilement que dans d'autres cas, vouloir avoir recours à l’aide au suicide.
La réalité n’est pas si simple. Il faut le comprendre pour voir pourquoi ce critère est controversé. Pour voir aussi pourquoi il n’est pas appliqué par la plupart des associations d’aide au suicide qui œuvre dans notre pays. Les médecins ne l’appliquent pas toujours non plus, et sont rarement inquiétés pour cela. En regardant les situations qui ont été publiées, et les personnes ne souffrant pas de maladie terminale qui recourent à l’assistance au suicide, on se rappelle que toutes les souffrances insupportables ne nous tuent pas d’elles-mêmes. Lorsqu’une personne souffre d’une (ou plusieurs) maladie(s) chronique(s) et que c’est là la source de son mal, lorsque cette personne estime que son état est insupportable et qu'elle ne peut pas être aidée par d’autres moyens, comment lui répondre que la perspective de souffrir plus longtemps est la raison pour laquelle l’aide au suicide ne lui est pas accessible?
Il faut aussi comprendre qu’en Suisse, la législation concernant l’aide au suicide n’a pas été établie dans l’idée que ces demandes seraient principalement le fait de personnes déjà condamnées par une maladie. Elle a été établie suite à la décriminalisation du suicide lui-même, sur la base d’un constat selon lequel il n'y aurait pas de crime à assister, pour des raisons altruistes, un « suicide bilan » rationnel. Le caractère licite de l’assistance au suicide repose donc ici sur un accord entre particuliers, l’un candidat au suicide sur la base d’une décision lucide et pondérée, l’autre d’accord de l’aider pour des raisons altruistes.
Notre situation Suisse repose donc sur ces deux piliers : d’une part une législation très libérale posant peu de limites à la pratique de l’aide au suicide, d’autre part des directives médicales plus restrictives mais qui ne sont pas systématiquement appliquées. Une précision plus claire de limites légales, applicables à tous et fondées sur les risques véritables, pourrait donc effectivement représenter un progrès.