Que l’on le veuille ou non, les littératures des Afriques, du moins, celles du continent mère, sont très jeunes. Non pas que cela soit une raison pour relativiser ou montrer trop d’indulgence dans son avis sur les productions africaines, mais cette jeunesse est sans doute une explication au fait que, dans certaines branches littéraires, l’Afrique en soit encore à des balbutiements. Et l’exemple le plus flagrant concerne le genre "Héroïc-fantasy" auquel l’auteur Momi Mbuzé s’est courageusement attaqué pour tenter de montrer, comme il le dit dans sa présentation, le renouveau de l’imaginaire africain afin de "créer une autre projection des africains sur l’Afrique, et sur eux-mêmes, par le biais de la culture et des arts".
L’auteur s’est attaqué à ce que, en tant que lecteur, je rêvais de lire : mettre dans un contexte africains des histoires de magie, de dragons (ou autre monstres), de guerre de pouvoir… bref, je souhaitais, et je souhaite à tous, de lires des "Games of throne", "Assassin’s Apprentice" ou autre "Seigneur des anneaux". Le souci c’est que le lecteur que je suis fut, dans sa jeunesse pas encore totalement révolue, un féroce lecteur de Fantasy…
Parlons tout d’abord de ce dont ces Chroniques recèlent. Du moins, ce que mon esprit a pu en tirer…
L’auteur nous conte, avec mille digressions, la naissance et l’éclosion d’un empire. En commençant pas la, traditionnelle, carte du territoire dont il est question, ainsi que de de la cosmogonie qui a présidé à la création du monde, de l’empire et, évidemment, du peuple élu.
« Selon la légende d’Egbele le prophète, Ayano le Dieu-Léopard, créa le premier Ntu en arrachant son poil pourpre et en le mélangeant à de la terre de la même couleur, formant ainsi le corps du premier Ntu. Mais l’être créé étant sans vie, Ayano souffla de l’air chaud dans son corps inerte et la chaleur des flammes l’animèrent. » (Page 25)
Dans ses Chroniques de l’empire Ntu, Momi Mbuzé respecte quelques basiques du genre et ce, dès le départ : une Le schéma d’une carte manuscrite du Royaume Ngola dans lequel toute l’intrigue va se situer, un prologue – qu’il eut mieux valu éviter – pour mettre le lecteur dans l’atmosphère du récit et un grand souci du détail quant à la filiation de ses personnages. Toutes les ascendances et descendances sont expliquées avec moult détails, et si au début on admire le sens de la cohérence de l’auteur, très vite on est saturé par le trop plein d’information, le trop plein de détails qui, de plus, cassent le rythme de la narration de façon trop régulière.
« A la mort de Sawati Ier, son fils, dernier né mâle en vie, le prince Ngekalé Sagba Nkofu, lui succéda. La loi traditionnelle de succession fut respectée à la lettre près. L’enfant fut intronisé par toutes les institutions de l’empire : par le conseil des sages et l’assemblée des peuples, ainsi que la prêtresse-mère, Seymelà La Sainte. Mais le nouvel empereur était encore trop jeune pour gouverner et ne pouvait régner avant ses vingt ans. Sa mère, Keesha Afwasi Gboka, assura la régence durant dix brillantes années »
Les chroniques de l’empire Ntu (page 53)
La moitié du livre est une succession d’histoires de prise de pouvoir, de contre-complot, de rois plus ou moins forts, qui sont alignés les unes après les autres avec un flot de détails, frisant le trop plein, sur les structures politiques, l’organisation du pouvoir, des villes, des hiérarchies, etc… trop, trop de choses, de noms, de récits secondaires ; on se perd.
« L’alliance des royaumes rivaux finit par soumettre l’empire Ntu qui devint une sorte de colonie, une terre à piller, peuple à exploiter. Du moins, les territoires qui intéressaient l’alliance et que cette dernière contrôlait, avec à sa tête un roi fantoche et despote nommé Ndosa Koki 1er. Ce dernier régna surtout sur les territoires convoités par les ennemis de l’empire, le territoire de Tshishindo principalement. Mais au bout de dix-neuf années de chaos et de misère, caractérisées par un pillage systématique et organisé des richesses du pays par ses voisins, les Ntus, toutes classes sociales confondues, finirent par réaliser les faiblesses du système qui occupait leur pays.
Les chroniques de l’empire Ntu (page 73)
Au chapitre 16, on commence à avoir une histoire construite, qui monte petit à petit en densité, avec un personnage central, Nehesha, et c’est franchement un soulagement. On a l’impression que l’auteur ne part plus dans tous les sens, même si cette manie d’entrer dans de multiples détails (organisation sociale, politique, structures des villes, du pouvoir…) ne le quitte pas totalement. Nehesha et son exile vers la ville de Mbosi est un passage intéressant où l’on retrouve des codes de la Fantasy matinée d’Afrique qui est du meilleur effet. Mais pendant quelques chapitres, le « complot des 4 » qui intervient au chapitre 10 semble disparaître (pour revenir plus tard) et ça renforce cette sensation d’avoir à faire à un récit décousu. Puis cette fin qui annonce les trois autres tomes…
Bref, comme je l’ai laissé entendre dès le départ, cette lecture m’a été pénible, très pénible. Pourtant je reconnais volontiers à l’auteur, et à ce roman, une vraie volonté de construire un univers complexe, je lui reconnais une énorme richesse d’imagination, et un souci du détail qui montre un vrai travail dans l’élaboration de ce récit (et qui est son principale talon d’Achille), et je suis prêt à encourager ce pionnier de la Fantasy à l’Africaine, mais je ne peux laisser sous silence les nombreux écueils que j’ai rencontré tout au long de ma lecture.
Ma crainte, pour le livre, est qu’elle ne rencontre pas son lectorat par le fait que les vrais amateurs de Fantasy, sont loin d’y trouver leur compte et les autres lecteurs se laisseront – peut-être – perdre dans les entrelacs d’une narration par trop fouillis.
L’auteur, M’Buze Noogwani m’a, cependant, suffisamment intéressé par sa démarche pour que j’ai envie de lire les deux tomes suivants. J’ai envie de voir si les manquements – subjectifs évidemment – de ma lecture ont trouvé solutions dans les suites et s’il a réussi à cadrer son enthousiasme et son imagination débordante.