Curiosity : un lac asséché a donné naissance au Mont Sharp

Publié le 11 décembre 2014 par Pyxmalion @pyxmalion

Poursuivant ses investigations sur l’habitabilité de Mars, Curiosity nous apprend à travers ses observations réalisées à la base du Mont Sharp, que cette mystérieuse montagne était auparavant un lac. Pour les chercheurs du projet Mars Science Laboratory, « la notion qui veut que les conditions chaudes et humides furent transitoires, locales ou seulement dans le sous-sol martien » est remise en cause.

Depuis son débarquement sur Mars, le 6 août 2012, dans le vaste cratère Gale (155 km de diamètre), site dûment choisi par les scientifiques de la mission pour l’intérêt que présentent les roches qui y affleurent, Curiosity a sillonné cet environnement désertique, jadis humide, sur plus de 8 km. Sur sa route parfois périlleuse, le rover eut plusieurs fois l’occasion d’étudier le passé géologique de la planète : ici un lit de rivière asséché, là le rivage d’un ancien lac — on aurait pu entendre le murmure de l’eau, il y a quelques milliards d’années… —, etc. Sans oublier de nombreux indices physico-chimique plaidant en faveur d’une habitabilité au cours d’une ou plusieurs périodes.

Depuis la fin de l’été (sur Terre), Curiosity prend de la hauteur en se frayant un chemin sur les premiers contreforts d’Aeolis Mons, dans le cadre de son deuxième volet du projet Mars Science Laboratory (MSL). Les chercheurs sont en effet très intrigués par cet empilement de couches rocheuses rebaptisé Mont Sharp en 2012 — en l’honneur du géologue Robert P. Sharp (1911-2004) — qui, du haut de ses 5.500 m, domine toute la région. Sa structure en feuillet est un magnifique ouvrage naturel où l’on peut y lire de nombreux épisodes de l’histoire de notre petite voisine, Mars.

Au pied du Mont Sharp (point culminant à 5,5 km), magnifique exemple de dépôts sédimentaires d’un ancien lac photographié par la caméra du mât (_MastCam_) de Curiosity, lors de son 712e jour sur Mars (7 août 2014)

Un lac qui accouche d’une montagne

Les examens réalisés sur la base de cette montagne jusqu’à une altitude de 150 m, indiquent qu’elle est constituée de plusieurs couches sédimentaires d’un ancien lac, lesquelles se sont amoncelées durant des dizaines de millions d’années, au gré de périodes sèches et humides qui alternaient. Une étendue au centre, vraisemblablement alimentée par des rivières qui descendaient des plateaux de la région à travers les remparts rocheux du cratère. Curiosity a pu visité ces paysages à présent très secs et soumis aux vents.

Jusque là, « nous avons trouvé des roches sédimentaires suggérant la présence d’anciens petits deltas empilés les uns sur les autres » résume Sanjeev Gupta (Imperial College de Londres), membre de l’équipe scientifique de Curiosity, mais désormais le rover « a franchi une frontière séparant un environnement dominé par les rivières et en atteint un autre dominé par les lacs », au centre.

Il y a 4 milliards, l’eau des reliefs venait remplir les dépressions comme le cratère d’impact Gale — les alluvions le remlissait alors de sédiments

« Là où il y a aujourd’hui une montagne, il y a pu y avoir autrefois une série de lacs » ajoute son collègue John Grotzinger (Caltech). C’est donc une très bonne occasion pour caractériser l’évolution de son environnement, car « à mesure que Curiosity grimpe plus haut sur le Mont Sharp, nous aurons d’avantage d’expériences pour montrer les modèles sur la façon dont l’atmosphère, l’eau et les sédiments ont interagi. Nous pourrons voir comment la chimie a changé dans les lacs au fil du temps », poursuit-il.

C’est à la faveur d’un climat plus chaud et humide, que de tels réservoirs d’eau ont pu se maintenir à l’état liquide, d’ailleurs plus longtemps qu’on ne le pensait. Si cette hypothèse se vérifie, « elle remet en question la notion qui veut que les conditions chaudes et humides furent transitoires, locales ou seulement dans le sous-sol martien » déclare Ashwin Vasavada, membre du programme au JPL. L’« explication la plus radicale est que l’ancienne et plus épaisse atmosphère de Mars a élevé les températures globales au-dessus du point de congélation, mais pour l’instant, nous ne savons pas comment elle a pu le faire ».

Vue en coupe du cratère Gale (155 km) sur deux périodes. A gauche, on distingue une succession de couches jaunes, matériaux des reliefs environnants déposés tantôt par le vent (périodes plus sèches) tantôt par les rivières (deltas, en période humide), et en marron, les dépôts laissés par le lac dont la taille a variée. A droite, le schéma montre la formation, à long terme, du cône montagneux par l’érosion éolienne. Les chercheurs n’excluent pas qu’il existait à l’origine, au centre de ce cratère, un monticule formé par le rebond après l’impact

La formation du cône montagneux a sans doute commencée après la disparition de l’eau — concomitamment à la perte de l’atmosphère martienne — lorsque les dépôts sédimentaires laissés par le lac et ceux drainés par les rivières furent en proie aux alizés.