Je l’avoue et j’en ai presque honte, j’ai découvert Ahlam Mosteghanemi au début de cette année 2014. Son nom ne m’était pas étranger, certes. Je savais vaguement que c’est une femme qui écrit en arabe. Mais, hélas, je ne lis ni romans, ni journaux, ni quelque document que ce soit en arabe. Car je ne maîtrise pas cette langue, quoique si je parle parfaitement l’oranais.
Si vous n’avez pas encore lu Ahlam Mosteghanemi, hatez-vous de le faire. Il n’est jamais trop tard. Dans son premier roman « Mémoires de la chair », l’auteure chante l’amour entre les êtres perdus ou présents, les lieux disparus, la cité des ponts, Constantine, Baladou el hawa-i daâwki am baladou el-hawa ? se lamantait le poète. Ahlam chante un pays magnifique, hélas abandonné à la dérive par ses dirigeants. Ils l’ont laissé ronger par la corruption et autres maux ou crimes. « Je regardais défiler la ville par la vitre de la voiture qui nous menait de l’aéroport à la maison, et je me demandais : Me reconnaît-elle ? Cette cité-patrie qui accueille ses protégés aux épaules larges et aux mains sales par l’entrée d’honneur…m’avait accueilli parmi les queues des étrangers, des escrocs et petits trafiquants,. Me reconnaît-elle, elle qui contrôle attentivement mon passeport et oublie de s’attarder sur mon visage ? » (278) Extrait il est vrai teinté d’une forme de naïveté. Mais c’est une naïveté saine, non douée d’arrière pensée, qui s’exprime avec beauté, avec romantisme. Voici cet autre :« Etait-ce ce dîner gargantuesque qu’Atika, la femme de Hassan, nous avait préparé, la cause de mon malaise ? On aurait dit une fête. Jamais je n’avais autant mangé. Un repas historique. Il y avait des plats que je n’avais plus goûtés depuis des lustres… Ou bien était-ce le choc de ma confrontation sentimentale avec cette maison où j’étais née, où j’avais grandi ? Murs, marches, fenêtres, chambres, couloirs gardaient l’empreinte de mes fêtes et de mes deuils, et d’autres jours ordinaires, qui resurgissent soudain… souvenirs extraordinaires excluant toute autre image. Me voilà habitant ma mémoire en réintégrant la maison de mon enfance. Peut-on dormir lorsqu’on a la mémoire comme oreiller ? Les fantômes de ceux qui l’ont habitée rôdent dans les chambres. Il me semblait voir le pan de la robe de ma mère aller et venir dans la cour, exhalant son odeur maternelle, il me semblait entendre mon père réclamer l’eau pour ses ablutions ou crier du bas de l’escalier : « Dégagez le chemin ! » pour prévenir les femmes qu’un visiteur étranger à la famille l’accompagnait et qu’elles devaient disparaître pour ne pas être vues… » (279) Je me souviens personnellement qu’à Oran losqu’elle entendait « Trig ! » c’est à dire « route », toute femme dans les parages se devait de libérer le passage… A propos de ce roman Nizar Kabbani a déclaré : « Ce livre m’a donné le vertige, je l’aurais signé si on me l’avait demandé ».
Bon anniversaire Ahlam !
Ahmed Hanifi, Marseille, 13 avril 2014
-------------------------- Site officiel de Ahlam Mosteghanemi (les photos en sont extraites) : http://www.ahlammosteghanemi.com