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Clémence Veilhan : voler de ses propres Elles

Publié le 11 décembre 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

La vie en face

Pour mettre en perspective l'exposition de la photographe Clémence Veilhan à la galerie Laure Roynette à Paris, il n'est pas anodin de rappeler que cette artiste trentenaire a été un temps l'assistante de la photographe américaine Nan Goldin. Forte de cette expérience auprès d'une artiste résolue à  regarder sa vie en face avec ses turbulences et ses souffrances, la jeune photographe a pris son envol en décidant d'interroger avec les moyens de la photographie un sujet intime et sensible : « Je raconte une histoire: le passage de l’enfance au monde adulte, celle d’un trouble, d’une enfance perdue, d’un commencement impossible. »
Pour mettre en images cette question dérangeante, névralgique, Clémence Veilhan a fait le choix d'une photographie délibérément simplifiée, "objective" serait-on tenter d'écrire même si, on le sait, le photographe n'est pas objectif, il a un objectif.
Dans l' exposition, trois étapes de cette enquête retracent l' itinéraire d'une enfance perdue. Avec "Chewing-Girls" Clémence Veilhan a proposé à cinquante jeunes filles de venir poser nue en faisant une bulle de chewing-gum, les sujets photographiés retenus n'étant pas le résultat d'un choix sur des critères définis, mais seulement captés au gré des disponibilités.
Dans une deuxième thème, "Je n'ai jamais été une petite fille ", elle a demandé à trente huit jeunes femmes de venir poser dans sa robe de petite fille, seul objet qui lui restait de son passé. "Vous tenterez de vous souvenir de la manière dont vous étiez petite fille et vous ne bougerez plus le temps de la photographie." Chaque jeune femme a donné au vêtement peu à peu déformé, déchiré, une nouvelle forme et des souvenirs inédits.
Dans les deux thèmes nous sommes en présence d'une tentative pour revisiter les tableaux d'une enfance oubliée à la manière d'une reconstitution de scène de crime, proche de la neutralité froide d'une photographie d'anthropométrie judiciaire.

"24 images dans la vie d’une femme "

Mais c'est le troisième volet de cette investigation qui offre, me semble-t-il, à la démarche de la photographe, une dimension supplémentaire, celle d'une narration photographique introspective.

24 images de la vie d'une femme (détail) Clémence Veihlan 2010

24 images de la vie d'une femme (détail N°1 "Premier baiser" et N° 24 "Photographier" ) Clémence Veilhan 2010

Avec "24 images dans la vie d’une femme " Clémence Veilhan a déterminé vingt quatre étapes marquantes de sa jeune vie. Elle les a rejouées spontanément en s’imposant des règles strictes : "Les photographies sont réalisées à la chambre, dans le temps le plus court possible, un seul “plan-film” par photographie, chaque image s’inventant sur le moment même des prises de vues." Debout devant un fond blanc, la photographe reliée à sa chambre photographique avec ce qui s'apparente à un cordon ombilical, met en scène une séquence symbolique pour une femme d'images : les vingt quatre photographies de cette série scandent  les vingt quatre images par seconde du cinématographe et déroulent le film d'une vie en devenir. La photographe complète cette séquence avec une narration en décrivant, d'une photo à l'autre, chaque moment clef de ces étapes, illustré dans cette mise en scène réduite à une posture habitée.

Clémence Veilhan : voler de ses propres Elles

24 images de la vie d'une femme (détail: "Première boum" et "On s'embrasse au cinéma" ) Clémence Veilhan 2010

Peut-on vraiment sans être femme prétendre saisir toutes les composantes de cette histoire totalement déterminée par la féminité, les mystères, les doutes, les souffrances parfois que Clémence Veilhan s'attache à nous présenter ?
Les jeunes femmes sollicitées pour mener à bien cette introspection au gré de ses thèmes ne sont pas des modèles pour photographes. Toutes participent avec l'artiste à cette confraternité féminine, à cette volonté de dépassement, à cette tentative d'échapper aux contraintes physiques, psychologiques et sociales qui ont conditionné leur enfance avant de, peut-être, donner libre cours à leur identité propre et  leur permettre de voler de leurs propres Elles.

Photographies : Clémence Veilhan, galerie Laure Roynette

Clémence Veilhan " Et les fruits passeront la promesse des fleurs "
Du 29 novembre 2014 au 20 janvier 2015
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny
75003 Paris


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