Il est du droit de tout citoyen de se regrouper dans une communauté ou une association pour défendre ses convictions. En revanche, nous avons à plusieurs reprises pu dénoncer les excès que pouvaient engendrer la défense de certaines causes (si nobles soient elles), notamment en terme de communautarisme et de concurrence des mémoires. L'actualité culturelle récente le montre encore avec "Exhibit B", des tableaux vivants qui font polémique. Pourquoi cette polémique ? En quoi montre t-elle une nouvelle fois la déviance mémorielle ?
Le principe de l'exposition
"Exhibit B" est une exposition réalisée par Brett Bailey, un artiste Sud-Africain qui par ce moyen, espère lutter contre le racisme. Le principe est simple : des tableaux vivants successifs qui permettent de montrer les conditions de vie des colonisés (en particulier les noirs africains) pendant que les Européens dominaient le monde par la colonisation. Le spectateur se balade en quelque sorte à travers l'histoire en passant de scène en scène, le but n'étant pas d'apprendre une chronologie de la colonisation mais plus de comprendre une ambiance, des rapports sociaux, des violences... de l'époque. Ce spectacle reconstitue ainsi les "Zoos humains" dans lesquels des hommes à la peau noire étaient exposés aux Européens (le dernier date de 1958) et tente également de faire le lien avec la situation actuelle des immigrants clandestins pour dénoncer le racisme.
N'ayant pas vu l'exposition, et n'ayant pas trouvé de vidéo sur celle-ci, on peut néanmoins montrer des photographies tirées de celle-ci.
Les contestations
Malgré la noble cause défendue par cette exposition, de vives contestations de l'oeuvre ont eu lieu. Déjà annulée à Londres, elle est maintenant menacée alors qu'elle est présentée à Saint-Denis, dans la proche banlieue nord de Paris, où vit une importante communauté noire. Pourtant l'exposition n'avait pas provoqué de manifestations l'année dernière où elle était déjà présentée ailleurs en France. Au yeux de certaines associations noires, cette exposition apparaît comme une provocation raciste, un non-respect de leurs ancêtres, si bien qu'elles ont manifesté plusieurs fois devant le théâtre, perturbant son bon déroulement fin novembre dernier. Toutefois, le président du théâtre a refusé de suspendre l'exposition. Le débat entre les pour et les contre l'exposition a cependant été annulé du fait des violences. En ce moment même, c'est à Paris (au Centquatre) que l'exposition est visible jusqu'au 14 décembre. Mais les associations, malgré une plainte au tribunal administratif, n'ont pas obtenu gain de cause.
Un débat tendu
Essayons maintenant de nous pencher sur le pourquoi des protestations. Il semble de les arguments ne manquent pas du côté des opposants à l'exposition. L'artiste Baams a soutenu les manifestants pour une annulation et s'est d'ailleurs exprimée sur le plateau de "Ce Soir Ou Jamais" pour défendre sa cause.
"Une vision dégradante du peuple noir" ?
L'un des premiers arguments évoqués par Bams et son collectif serait que cette exposition véhicule une image dégradante du peuple noir. Le peuple noire serait sans cesse présenté ainsi et l'homme blanc empêcherait l'homme noir de s'exprimer et reproduirait même le schéma colonialiste dans la société française actuelle à en croire cet article. Certes l'exposition montre des images choquantes mais elle semble avant tout véhiculer une vision de la réalité vécue par les populations noires lors du passé de la colonisation. N'a t-on pas le devoir de dire la vérité lorsqu'on évoque tout sujet en lien avec l'histoire (et même en lien avec la connaissance) ? De même, malgré les scènes faisant le lien avec la condition plus actuelle des noirs, il semble que l'objectif soit assez clair : dénoncer le racisme et le colonialisme. Il apparaît même que ce sont les associations qui, par leur réaction, affirment la soumission de l'homme noir de nos jours en affirmant que les blancs parlent en son nom et qu'ils ont toujours une condition inférieure. Ce sont des propos très exagérés : personne n'empêche les noirs de s'exprimer, de s'engager, de participer à la vie citoyenne et certainement pas un système colonial qui ancre une infériorité par le droit. Pourrait-il y avoir de telles manifestations dans un système colonial ? De même, les noirs n'ont aucunement le monopole de la question de leur passé...
"Une offense à la mémoire des personnes victimes de l'esclavage" ?
Nous avons là un argument assez faible et qu'il faudrait plus expliquer. Si la représentation montre une image dégradée, il faut toutefois rappeler que la violence du rapport colonial n'est pas à sous-estimer et que cette exposition se doit de montrer une certaine réalité. Cette exposition n'est pas une offense dans le sens où elle suscite le travail de mémoire à propos de l'esclavage et de la colonisation. N'aurait-ce pas été de cacher ou d'atténuer l'horreur de la violence coloniale qui aurait été une offense aux victimes ?
"Des zoos humains" ?
Par cette exposition, Bams voit de nouveaux zoos humains, ces spectacles qui mettaient en scène des noirs dans une condition humiliée pour montrer la mission civilisatrice de l'homme blanc. Cependant, c'est un abus de langage. Certes, l'exposition a une vocation artistique, c'est un spectacle, mais en l'occurrence ce sont des acteurs qui jouent : ils sont donc volontaires, le rapport colonial n'existe pas à la différence des zoos humains. Aussi cette exposition cherche à dénoncer les humiliation du passé et non à les reproduire. Il s'agit plus de la spectacularisation de la condition des noirs qui est dénoncée par Bams mais en aucun cas on ne peut dire que ce sont des zoos humains.
"Aucun travail pédagogique d'Etat et de l'Education Nationale" ? "Commençons par les historiens", "L'histoire c'est pour les historiens".
Bams laisse trop souvent sous-entendre que cette exposition est muette et qu'elle ne permet pas du tout le travail de mémoire et l'instruction de la population au sujet de la colonisation. Certes, c'est peut-être une ambiguïté de l'exposition, mais on ne peut pas laisser dire que l'Education Nationale ne fait rien sur ces thématiques. "Les traites négrières et l'esclavage" ainsi que "Les colonies" sont deux chapitres du programme de 4ème en Histoire. En première Scientifique, on consacre de nouveau une petite partie du programme à la colonisation dans le chapitre "La République face à la question coloniale". En première Littéraire et en première Economique et Social un thème est consacré à ces questions : "Colonisation et Décolonisation". Quant à la formation des professeurs d'Histoire-Géographie, elle n'est pas en reste sur ce point, les facultés accordant à cette enseignement une certaine place. On peut aussi rappeler qu'un des thèmes du CAPES et de l'Agrégation fut "Les sociétés coloniales à l'âge des empires : Afrique, Antilles, Asie (Années 1850-Années 1950)" en 2013 et 2014. Aussi, l'art a tout à fait le droit de donner son avis sur ces questions, il n'y a aucune raison ni de le laisser de côté dans l'étude de l'histoire (c'est même une démarche de plus en plus courante au collège et au lycée) ni de laisser d'abord la priorité aux historiens. A partir de quand, selon Bams, l'Etat devrait-il donner son accord aux artistes pour traiter d'une question historique ? C'est la porte ouverte à une étatisation non souhaitable de l'histoire.
"Sans montrer le colon".
L'argument du colon non évoqué dans l'exposition, qui est centrée sur la conditions des noirs, est peut-être le plus pertinent. On pourrait penser que l'oeuvre aborde cette question sans y intégrer tous les acteurs. Néanmoins, ce n'est pas du tout un motif suffisant pour censurer cette oeuvre d'art.
"Mein Kampf est interdit en France".
Evidemment, comme dans de nombreux débats tendus, on ne pouvait pas se passer d'une petite référence "godwinesque". Bams pense que le fait de censurer une oeuvre d'art est possible en France puisque le livre "Mein Kampf" serait interdit. Le problème de cet argument est qu'il est faux : ce livre n'est pas interdit en France. Considéré comme un document historique depuis un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en 1979, le livre peut-être vendu à condition qu'il doit précédé d'une mise en garde de huit pages sur le contenu du livre et son caractère raciste.
En bref, au-delà même de la contestation (qui est légitime, l'art étant subjectif, on peut tout à fait en discuter), c'est la forme qui est condamnable. En effet, les associations mémorielles voire communautaires ne présentent pas des méthodes satisfaisantes au regard de nos exigences démocratiques. La liberté d'expression doit pouvoir s'exercer, il conviendrait mieux de débattre publiquement de cette oeuvre de manière sereine plutôt que de vouloir l'interdire. Les enjeux sociaux de l'histoire ne doivent pas aviver des tensions au sein de notre société mais permettre d'assumer un passé commun. Une fois de plus, on ne peut que déplorer la dérive mémorielle et ses conséquences sur une histoire trop politisée qui doit rester publique et libre et même sur la culture.
SOURCES :
Le Figaro
France 3
Le Figaro
Vin DEX