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Les travaux ménagers et l’appropriation des femmes

Publié le 10 décembre 2014 par Juval @valerieCG

Valérie Pécresse, secrétaire générale déléguée de l'UMP, déclara au sujet du congé paternel, dans une interview accordée au Journal des femmes :

"Et c'est à ce moment que l'on aurait le plus besoin des pères, notamment parce qu'ils sont une figure d'autorité."

et

"Pensez-vous que le plus grand nombre sont les pères qui ont envie de changer des couches ?"
ainsi que

"il faut certes inciter les pères à prendre un congé mais ils le prendront d'autant plus volontiers avec un enfant un peu plus âgé, et cela sera socialement mieux vécu par les entreprises de voir les pères s'impliquer dans des problèmes un peu plus compliqués."

A l'heure actuelle, 80% des travaux ménagers au sein d'un couple hétérosexuel - qui impliquent les soins aux enfants (mais peuvent inclure également dans certains cas l'aide gratuite au conjoint dans le cadre de son travail  - sont exercés par les femmes.
Il a fallu attendre les années 70, et les mouvements féministes, pour comprendre que ce travail en était un : les tâches ménagères étaient auparavant dans un entre-deux, ni un travail, ni un loisir, dont on ne saurait pas quoi penser ; sinon qu'il est facultatif...  surtout pour les hommes. Les tâches ménagères sont donc bien comprises comme un travail même si l'on tend à éviter de se demander comment un travail peut être gratuit sauf à comprendre que le patriarcat fait qu'une classe - les hommes - s'attribue le corps et le travail d'une autre classe, celle des femmes.
Comme le postule Christine Delphy, le travail ménager profite avant tout à la classe des hommes : "le travail ménager n'est pas une somme de relations individuelles, mais l'effet d'un mode de production, le mode de production patriarcal ou domestique" où le chef de famille bénéficie du travail gratuit des autres membres de la famille.
L'état lui même aide à l'assistanat des hommes en palliant leur désengagement par la création de crèches. La crèche, vendue comme une avancée pour les femmes, est surtout un moyen d'encourager l'inertie masculine.  Quand un service remplace en argent ou en nature le travail que devrait faire les hommes, alors ces services ne sont pas aux bénéfice des femmes. Delphy "les femmes paient donc doublement sinon triplement ces prestations et services : elles paient la part non subventionnée (des crèches par exemple), elles paient en travail ménager et elles paient en discrimination sur le marché du travail". Il ne s'agit évidemment pas de supprimer les crèches et autres aides, mais de comprendre qu'elles ne sont pas un cadeau aux  femmes mais bien aux hommes. Je cite Delphy "Pour éclaircir ce point, une illustration. Admettons qu'un enfant consomme 100 heures de travail : 50 «ménager» (réalisé à la maison), et 50 «socialisé» (crèche). De ces 50 «socialisé», les parents paient la moitié: le coût est de 25. Le couple parental assume donc conjointement 75 de la totalité du travail nécessaire. Mais comment ? Chaque parent devrait contribuer à hauteur de 37,5. Des 50 «maison», la femme réalise 40 et l'homme 10. Même si on admet que les deux contribuent également (ce qui n'est pas le cas) à la moitié payante du 50 «socialisé», la part totale de la femme est de: 40+12,5, soit 52,5 o/o du total ; la part de l'homme est de 10+12,5 : 22,5% du total; la part de l'État - donc des contribuables - est de 25%, et elle ne bénéficie en aucune façon à la femme, mais va entièrement à l'homme, dont elle compense - et encore pas entièrement dans cet exemple - le déficit de travail ménager." Delphy souligne au passage qu'en ex RDA, où les enfants avaient tous une place en crèche, n'a rien changé aux problèmes des femmes ; elles travaillaient, s'occupaient du ménage et des enfants.
Delphy propose donc une chose assez simple  : "Pour les couples déjà cohabitants, une nouvelle règle pourrait s'énoncer ainsi : si les hommes ne veulent pas faire leur part du travail ménager, alors il faut qu'ils la paient, au lieu que ce soit le reste de la société qui la paie".

Avec les travaux de Cécile Brousse, on constate que la cohabitation hétérosexuelle provoque un surcroît de travail pour les femme et un allègement du travail pour les hommes. Alors que célibataires, les hommes consacraient 2h13 mn par jour aux tâches ménagères, ils en consacrent une heure de moins en couple. Dans un couple sans enfants, une femme passe 3h15mn aux travaux ménagers, un homme 1h15mn. Quand il y a des enfants, la part de l'homme reste la même, celle de la femme augmente sans cesse.

Dans cet article, la journaliste Charlotte Pudlowski parle de "servitude volontaire" en rappelant les propos de Pécresse. C'est oublier, comme le rappelle Delphy, que devenir mère est un statut social important dans le patriarcat mais qui est sans cesse mitigé par le soupçon d'être une mauvaise mère. Faire pression sur le conjoint "pour qu'il aide" reste entaché de l'idée que les femmes qui pratiquent cette pression ne sont pas des bonnes mères et veulent abandonner leurs enfants. C'est également oublier, qu'on consent à la servitude quand on a conscience de la servitude (et qu'elle n'est donc pas vendue comme un statut social valorisant comme celui d'être "une bonne mère") et qu'on a d'autres solutions que cette servitude mais qu'on la choisit délibérément (en l'absence d'investissement des pères, il n'y a simplement pas de choix). Pécresse cède parce qu'elle pense qu'il n'y a pas le choix ; on peut la comprendre dans la mesure, où depuis 50 ans, aucune réelle avancée dans le partage des tâches ménagères n'a été fait grâce à la formidable inertie masculine qui entend bien que les femmes en fassent moins mais ne veut surtout pas en faire davantage. Elle a parfaitement perçu la totale résistance masculine en matière de travaux ménagers et de soins aux enfants ; et si ses conclusions ne sont pas les miennes, elle n'a pas tort de considérer que la proposition socialiste est au mieux naïve, au pire, un nouveau moyen d'exploiter les femmes sans désormais les rémunérer.

Les femmes elles mêmes - et Pécresse nous le montre ici - sont habituées à penser que le temps de leur conjoint est plus précieux que le leur (et la société elle même le leur confirme puisqu'ils sont mieux payés à tâche égale). L'on ne questionne pas l'"envie" des femmes à changer des couches tant il n'en est pas question ; elles sont là, elles sont censées le faire comme elles sont censées nettoyer, élever, nourrir, balayer, laver ou essuyer. Comme le dit Guillaumin "Chacune de nos actions, chacune des actions que nous engageons dans un rapport social déterminé (parler, faire la lessive, faire la cuisine, soigner, faire des enfants, etc.) qui est un rapport de classe, celui qui nous impose les modalités et la forme de notre vie, on l'attribue à une nature qui serait à l'intérieur de nous, et qui - hors de toute relation - nous pousserait à faire tout cela parce que nous serions programmées pour que nous serions «faites pour cela», que visiblement nous le «ferions mieux» que quiconque. Ce que d'ailleurs nous sommes prêtes à croire lorsque nous sommes confrontées à la fabuleuse résistance de l'autre classe en face de ces actes tels que nettoyer, se charger réellement des enfants (et non les mener faire un petit tour festif ou avoir avec eux «une grande conversation sérieuse»), se charger réellement de la nourriture (tous les jours et dans le détail), et ne parlons même pas de la lessive, du repassage, du rangement, etc. (qu'un solide adulte homme laisse faire sans remords à un enfant de dix ans pourvu qu'il soit de sexe féminin) tous domaines où les coopérations connues et constatées approchent de zéro".

Comme beaucoup de femmes - parce qu'on les a éduquées à penser ainsi - Pécresse questionne les envies des hommes, leurs désirs, leur manque de temps à.  Ont-ils envie de changer des couches, ont-ils envie de faire des tâches "peu compliquées", ont-ils envie, ont-ils envie.

Personne ne se pose sérieusement la question - et une femme moins que tout autre tant elle est conditionnée à penser que son travail, ses loisirs, sa vie a moins de valeur, d'importance que celle d'un homme - de penser que les femmes n'en ont peut-être pas envie non plus. Et que, jamais la question de l'envie ne s'est d'ailleurs posée dans les tâches dévolues aux femmes, car on sait bien qu'au fond personne n'a envie de toucher des couches malodorantes. Ne pas se poser la question et rester sur un non dit, où les choses fonctionneraient quasi naturellement, un statu-quo où les femmes continueraient à faire ce qui ne serait ni un travail, ni un loisir, parce que cela serait au fond dans la logique des choses.

Il faudra bien un jour se dire que, si les femmes n'ont pas assez c'est que les hommes ont trop et qu'ils vont devoir lâcher. Que l'égalité ne se passera pas par la magie de gamins qui se changeraient tout seuls car les femmes ne le font plus mais les pères pas davantage. L'égalité passera aussi et avant tout par la renonciation des hommes à leurs privilèges qui impliquent l'appropriation du travail des femmes.

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