Premier candidat à avoir été désigné à la tête de la Commission
Européenne parce que son parti avait gagné les élections, Jean-Claude Juncker avait proposé cinq priorités pour son action. Je propose de les rappeler et de rester vigilant sur leur
application. Jacques Delors.
Comme Angela
Merkel en juillet dernier, comme François Hollande en août dernier, comme Nicolas Sarkozy en
janvier prochain, Jean-Claude Juncker fête son 60e anniversaire ce mardi 9 décembre 2014.
Le nouveau Président de la Commission Européenne a pris ses fonctions le 1er novembre 2014. En un
mois, il a fait deux fois l’actualité. La première, peu positivement, le 6 novembre 2014, à propos de l’optimisation fiscale des grands groupes européens dont son pays, le Luxembourg, a été
l’initiateur, pays dont il a assumé la destinée pendant… presque dix-neuf ans (du 20 janvier 1995 au 4 décembre 2013). La seconde fois, en annonçant le 26 novembre 2014 son plan d’investissement
en Europe, portant sur 315 milliards d’euros, dont seulement 21 sont actuellement disponibles.
Je profite de l’occasion de son anniversaire pour revenir sur le programme qu’il avait présenté avant les
élections européennes et sur la base de laquelle son parti, le PPE (Parti populaire européen) de centre droit, a gagné la majorité relative.
Un Président maintenant élu
Et d’abord, insistons une fois encore, Jean-Claude Juncker est le premier Président de la Commission
Européenne issu du Parlement Européen et pas du Conseil Européen. En ce sens, c’est le premier chef démocratiquement désigné des institutions européennes.
On a le droit de ne pas l’apprécier, d’être en désaccord avec lui sur la politique à suivre au sein de la
Commission Européenne, mais les démocrates ne peuvent que se réjouir que pour la première fois, c’est bien un candidat investi par le parti qui a gagné les élections européennes au suffrage direct qui a été désigné par le Conseil Européen, sous la pression des parlementaires européens.
Cette désignation, qui est la première selon l’application du Traité de Lisbonne, va faire jurisprudence, et dans les prochaines désignations (en 2019 et après), aucun Président de la Commission Européenne ne
pourra être valablement désigné sans avoir, auparavant, fait campagne et gagné.
C’est donc aussi le premier Président de la Commission Européenne qui avait présenté un programme d’action
quelques mois avant sa désignation, accessible aux 508 millions d’Européens. Il s’était fixé en effet cinq priorités.
1. Le numérique
Ce n’est donc pas une surprise si la première décision de Jean-Claude Juncker concernait le plan
d’investissement pour faire redémarrer la croissance en Europe, puisque c’était la priorité numéro une de son programme : « Ma première priorité
sera de mettre la croissance et de l’emploi au cœur des priorités de la prochaine Commission. ».
Pour Jean-Claude Juncker, l’une des principales pistes de relance est l’industrie du numérique : « Le marché unique du numérique pour les consommateurs et les entreprises est un élément clef pour la croissance ; nous devons exploiter les possibilités
des technologies numériques. » et il a insisté ensuite pour traduire cette incantation avec une plus grande dérégulation sur le secteur : « Nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécommunications, du droit d’auteur et de la protection
des données, ainsi qu’en matière de gestion des ondes radio et de droit de la concurrence. ». Ce qu’il a proposé n’est ni plus ni moins qu’un marché commun de la télécommunication qui
pourrait révolutionner le secteur (et réduire considérablement les prix pour ceux qui ne vivent pas dans un seul pays).
En clair, la législation en France, pays parmi les plus réglementés en la matière, devra sans doute évoluer pour libérer les énergies, à condition
qu’elle maintienne dans tous les cas l’indispensable protection des plus faibles, en particulier en ce qui concerne les données privées. Il est clair que nous sommes loin du temps de la
libéralisation des radios libres organisée par Georges Fillioud en 1982. Il paraît ainsi invraisemblable
et même anachronique que les chaînes de télévision généralistes ne puissent pas, par exemple, diffuser de film un mercredi soir ou un samedi soir pour éviter la concurrence déloyale avec le
cinéma, alors que des centaines d’autres chaînes peuvent se le permettre et que Internet permet aussi de contourner très légalement les lois sur la télédiffusion (c’est le problème que présente
Netflix par exemple). Mais l’idée d’un tel marché commun concerne avant tout la téléphonie mobile et la capacité d’envoyer et de recevoir toute sorte de données (vidéo, son, etc.).
2. L’énergie
La deuxième priorité de Jean-Claude Juncker sera de créer une « Union européenne de l’énergie » afin de mettre en commun les ressources, les infrastructures, d’optimiser les négociations avec les pays tiers et
de diversifier les différentes sources d’énergie : « Je veux garder notre marché européen de l’énergie ouvert à nos voisins. Toutefois, si le
prix de l’énergie importée de l’Est devient trop cher, politiquement ou économiquement, l’Europe doit être capable d’avoir accès très rapidement à d’autres sources d’approvisionnement. Et nous
avons besoin de renforcer la part des énergies renouvelables sur notre continent pour mener une politique responsable de lutte contre le réchauffement climatique. ».
Il est en effet illusoire de réaliser la transition écologique uniquement au niveau des États, et l’échelle
minimum est continentale, même si le mieux serait de la réaliser à l’échelle planétaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Élysée s’investit beaucoup sur la Conférence sur le climat de
2015. Par ailleurs, il avait fait une allusion à peine voilée à la crise en Ukraine et aux conditions de Vladimir Poutine sur le gaz russe.
3. Le Traité transatlantique
La troisième priorité de Jean-Claude Juncker, ce sera de « négocier un accord commercial raisonnable et équilibré avec les États-Unis d’Amérique ». Il adoptera une position de bon sens favorable aux
échanges : « Il est anachronique qu’au XXIe siècle, les Européens et les Américains continuent à s’imposer mutuellement des droits de
douanes. (…) Je crois aussi que nous pouvons aller plus loin dans la reconnaissance réciproque des normes, ou bien travailler à la création de normes transatlantiques. ».
C’est l’essentiel du Traité transatlantique : créer des
normes à l’échelle transatlantique qui permettront de s’opposer plus efficacement aux normes chinoises, notamment, qui ne seront jamais au même niveau d’exigence en terme de sécurité, de
protection des personnes, de conditions sociales et environnementales.
Mais si c’est pour résister à des normes de "mauvaise" qualité, ce n’est évidemment pas pour perdre le niveau
actuel de la "qualité européenne", d’où la réserve très ferme et la promesse de Jean-Claude Juncker : « Je ne sacrifierai pas les normes
européennes de sécurité, de santé, les normes sociales et les normes de protection des données sur l’autel du libre-échange. Je serai particulièrement intransigeant sur la sécurité alimentaire et
la protection des données personnelles. ».
Autant je n’avais qu’une confiance très relative vis-à-vis de son prédécesseur José Manuel Barroso,
complètement englouti par une sorte de thatchérisme anachronique éloigné des réalités sociales de
l’Europe, autant je suis rassuré par un Jean-Claude Juncker qui est beaucoup plus mesuré sur les conditions de négociation.
Comme le texte définitif devra être ratifié ensuite par chaque État européen, chacun sera libre d’apprécier à
sa juste valeur si la promesse de préserver nos normes européennes a été correctement tenue ou pas. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau puisque c’était inscrit dans le mandat que le Conseil Européen avait donné le 14 juin 2013 à la Commission Européenne pour négocier avec le gouvernement américain, mais on sait bien qu’il peut y avoir
un décalage entre les déclarations d’intention et les faits. Chaque citoyen européen verra bien quelle sera la conclusion des négociations. Jean-Claude Juncker a en tout cas bien bordé le cadre
de celles-ci.
4. L’Union monétaire
La quatrième priorité concerne l’Union monétaire et en particulier, la gouvernance de la zone euro qui ne
doit pas être assurée par la Banque centrale européenne (BCE) présidée par Mario Draghi mais par les
élus : « La zone euro devrait être gouvernée par la Commission et par l’Eurogroupe, qui, à mon avis, devrait être géré par un Président à temps
plein. ».
Jean-Claude Juncker connaît particulièrement ces questions-là puisqu’il a été lui-même le premier Président
de l’Eurogroupe du 1er janvier 2005 au 21 janvier 2013.
Loin de l’ultralibéralisme de son prédécesseur, Jean-Claude
Juncker veut absolument garder à l’esprit la dimension sociale des mesures qu’il serait amené à prendre sur le plan financier : « Mon parti, le
PPE [Parti populaire européen], croit en l’économie sociale de marché. En temps de crise, ce principe n’est pas compatible avec le fait que les spéculateurs deviennent encore plus riches, tandis
que les retraités ne savent plus comment subvenir à leurs besoins quotidiens. Dans ce contexte, une capacité financière au niveau de la zone euro pourrait être créée pour servir d’amortisseur en
cas de besoin. ».
Par ailleurs, il souhaite une représentation commune de la zone euro au FMI : « Je crois qu’il est grand temps que nous allions de l’avant avec cette proposition pour renforcer la voix de la zone euro au FMI, et en tant que Président de
la Commission, je m’en occuperai personnellement. L’euro ne doit pas seulement être stable sur le marché intérieur, il doit aussi avoir une forte voix sur la scène mondiale. ».
5. Le Royaume-Uni
Enfin, sa cinquième priorité sera de résoudre le "problème britannique" : « Aucun homme politique
raisonnable ne peut ignorer le fait que, au cours des cinq prochaines années, nous devrons régler cette question. (…) En tant que Président de la Commission, je vais travailler à l’établissement
d’un accord équitable avec la Grande-Bretagne. Un accord qui accepte les spécificités du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, tout en permettant à la zone euro d’aller plus loin dans son
intégration. ».
Il n’y a pas eu beaucoup de personnalités politiques en Europe pour pointer du doigt ce problème très particulier, d’autant plus que le référendum que
veut organiser le Premier Ministre britannique David Cameron, pour répondre à sa propre base électorale, pourrait faire des ravages dans d’autres pays européens, dans une sorte de jeu de
dominos.
Comme pour les négociations transatlantiques, Jean-Claude Juncker s’est fixé un cadre très strict pour ces négociations avec le Royaume-Uni :
« Ma ligne rouge dans de telles négociations sera l’intégrité du marché unique ainsi que la possibilité d’une plus grande intégration dans la zone
euro pour renforcer la monnaie unique partagée par dix-huit et bientôt dix-neuf États membres. ».
Cinq années cruciales dans l’histoire de l’Europe
Comme on le voit, sur le retour à la croissance, sur la transition énergétique, sur l’aboutissement des discussions pour un accord transatlantique,
sur l’évolution sociale de l’Union monétaire, et sur une redéfinition des liens entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, Jean-Claude Juncker a du pain sur la planche.
Peut-être que sa mise en cause dans l’optimisation fiscale au Luxembourg va, loin de réduire son influence, au contraire encourager sa volonté de
rééquilibrer l’Europe économique par une Europe sociale qui reste encore très virtuelle. Il a cinq années pour réussir, cinq années cruciales pour répondre aux nombreuses inquiétudes des citoyens européens désabusés, en grande proportion indifférents ou en colère lors des dernières élections européennes. Bon
anniversaire !
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (9 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Conseil Européen du 30 août 2014.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Déni de démocratie pour le Traité de Lisbonne ?
Guy Verhofstadt
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation
européenne.
L’Alternative.
La famille
centriste.
Michel
Barnier.
Enrico
Letta.
Matteo
Renzi.
Herman Van Rompuy.
Gaston
Thorn.
Borislaw Geremek.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario
Draghi.
Le budget
européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome
anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown
européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du
Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union
Européenne, c’est la paix.
L'écotaxe et l'Europe.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/le-programme-politique-de-la-160538