Diffusée sur Arte en octobre dernier, la mini-série P’tit Quinquin réalisée par Bruno Dumont a connu un succès inespéré. Entre série policière et comédie ancrée dans la France profonde, cet OFNI est désormais disponible en dvd/bluray. Il serait bête d’attendre Noël pour se l’offrir…
Bernard Pruvost
Au cinéma, et à plus forte raison, à la télé, il est bien rare de se voir projeter au visage un film totalement venu d’ailleurs, comme tombé du ciel, imprévisible et ne ressemblant à rien de connu. Holy Mottors, de Léos Carax, il y a deux ans, avait provoqué cet état de sidération totale qui immisça tant de bonheur chez les uns, et tant de haine chez les autres. Il y a fort à parier que Bruno Dumont va s’attirer autant de fans que d’opposants avec cette mini série de 4 x 52min.
S’il y a bien un terrain sur lequel on n’attendait pas Bruno Dumont, c’est bien celui de la comédie. On ne peut pas dire d’ailleurs que des films comme Flandre ou La vie de Jésus, bien que réussis, fussent de réelles parties de rigolades. Lui, le cinéaste de l’introspection, de la radicalité, filmant au corps à corps des personnages détruits, des corps sans vie ou des âmes tourmentées, se lance ici dans une aventure avec une foule de personnages tous aussi hilarant les uns que les autres. Qui aurait pu parier que l’acteur le plus drôle vu sur un écran depuis des années serait Bernard Pruvost, jardinier de son état et dont ce sont là les premiers pas devant une caméra ? Il campe un flic ultra névrosé, pétris de tics et totalement dépassé par les événements sur lesquels il enquête. Certaines de ses répliques sont déjà en passe de devenir cultes tant son phrasé, son vocabulaire et ses mimiques sont presque prompts à renvoyer Louis De Funès dans ses pénates.
Dans le cinéma français, la comédie est bien souvent cantonné à du one man show cinématographié. On prend une vedette de l’humour (Dany Boon, Kad Merad, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze…), et on le place devant une caméra pour exhiber des singeries. C’est oublier que les grandes heures de la comédie, qu’elle soit hollywoodienne (Lubitsch, Wilder), ou italienne (Risi, Comencini), nous apprennent que ce genre si difficile exige de grandes qualités dans l’écriture du scénario et (surtout) des dialogues et une grande précision dans la mise en scène : on ne rigole pas avec l’humour ! Derrière chaque bonne comédie se cache souvent par ailleurs un sujet sérieux ou des revendications glissées par le subterfuge de la drôlerie. La règle est de mise également pour ce P’tit Quinquin où tout le monde en prend pour son grade. Bruno Dumont dynamite la télé et sa complaisance quand elle filme une soi-disant réalité. Il envoi valser les séries à l’américaines en se moquant ouvertement des codes utilisés jusqu’à plus soif par les scénaristes et les studios. Il ridiculise aussi bien le télé-crochet à la mode que la diabolisation permanente et fallacieuse de l’Islam. Le journalisme et le cinéma pseudo auteuriste ont également le droit à leur uppercut.
Bruno Dumont (© ARP Sélection)
Il fallait donc le talent d’un metteur en scène de génie, qui n’a plus rien à prouver de surcroît, pour arriver à un tel résultat. Si, comme à son habitude, il impose sa radicalité sans concession, c’est avec une grande maîtrise qu’il se joue de ses personnages et de ses situations. Filmer la France profonde, les vrais gens, nécessite une vraie justesse dans le regard. Si la série est drôle de bout en bout, c’est parce qu’elle ne fait jamais semblant de s’intéresser à autre chose qu’à son histoire burlesque, presqu’absurde. A aucun moment Bruno Dumont n’endosse la prétention d’un porte parole de ruralité ou d’une quelconque France invisible. Il va chercher des personnages, des personnes qui par la magie du cinéma se lanceront têtes baissés dans une avalanches de scènes hilarantes. C’est bien par son absurdité que le scénario force à l’admiration. L’enquête se résumera en fait aux pérégrinations de deux flics paumés regardant les cadavres s’amonceler devant leurs yeux de merlans frits. Ils n’y comprennent rien, nous non plus, mais les suivre, sous l’oeil pas vraiment bienveillant d’une bande de petits mômes dont P’tit Quinquin est le meneur d’homme, s’avère une sacrée aventure. On ne peut que féliciter Arte d’avoir suivi Bruno Dumont dans un projet aussi fou. Il ne reste qu’à espérer que le large public que s’est attiré P’tit Quinquin aura la curiosité d’aller voir les précédents films de Bruno Dumont, réalisateur majeur du cinéma français contemporain.
Quant au DVD/Bluray…
★★★☆☆
La copie proposée sur le DVD/Bluray est de très bonne facture. Le rendu de l’image comme celui du son sont très fidèle et témoignent d’un vrai travail d’édition. Côté bonus, l’interview de Bruno Dumont par Philippe Rouyer (critique à Positif) est très intéressante et instructive. Toutefois, nous aurions aimé en voir plus : images de la réception cannoise, tournage, et pourquoi pas quelques instants volés au moment des castings…