Un film de Lucia Puenzo (2013 - Argentine, France, Espagne, Norvège) avec Alex Brendemühle, Florencia Bado, Diego Peretti, Natalia Oreiro, Elena Roger, Guillermo Pfening,
Très bonne surprise... mais pas assez long.
L'histoire : Patagonie, Argentine, 1960. Une petite famille se rend dans l'hôtel familial que la maman a hérité de ses parents, des Allemands ayant fui leur pays pendant la guerre. Fière de racines (mais pas du IIIe Reich, bien sûr), elle inscrit ses enfants dans une école allemande, où sa fille Lilith se fait sans cesse chahuter par les autres en raison de sa petite taille. Une récente connaissance de la famille, un médecin allemand, élégant, courtois, riche, s'intéresse de près à Lilith et dit connaître un moyen de relancer la croissance enfantine. Le père de famille, juif, n'a pas confiance dans cet homme qui le regarde de haut ; la mère et la fille acceptent donc en cachette le début du traitement. Mais le bon docteur ne s'intéresse pas qu'à Lilith...
Mon avis : Ca m'amuse beaucoup de dire d'un film qu'il n'est pas assez long... moi qui fustige tant ceux qui le sont trop ! Comme quoi le format est une chose hyper importante ! Certains scénarios méritent plus de développement, de détails, d'émotions diverses, de rebondissements. C'est le cas ici où l'Histoire se donne des airs de fiction, dramatique, douloureuse, qui pouvait ouvrir sur de grandes réflexions philosophiques. Or, on est un peu frustré sur la fin, quand on sent que ça va se finir... déjà !
On est captivé pendant tout le film, et puis soudain, les événements se bousculent, le bonhomme s'enfuit, et on reste sur notre faim. J'aurais souhaité connaître mieux son histoire, savoir plus précisément ce qu'il voulait faire avec les jumeaux, si la petite fille avait vraiment retiré un avantage du traitement, et que, parallèlement, les thèses de l'eugénisme soient mieux étayées : où commence-t-il, où s'arrête-t-il ? jusqu'où la science peut-elle aller ? Un sujet qui nous est présenté ici surtout dans son horreur, ce qui fausse le débat actuel : les idées nazis furent appliquées avec une violence et un mépris humain inouïs, mais aujourd'hui partout se profile de plus en plus la même question : choix des donneurs de sperme pour les fécondations in vitro, choix des foetus à supprimer en cas de grossesses multiples, mères porteuses, avortement pour les bébés dont on décèle une anomalie, bébés clones "médicaments"... nous allons droit vers un eugénisme qui ne dit pas son nom. Et le film, hélas trop court, s'apparente au final à une sorte de téléfilm bien foutu mais survolé qu'à l'authentique drame, le thriller médico-polar-espionnage avec de vraies et effrayantes résonances modernes qu'il aurait pu être.
Le parallèle entre le docteur qui fait des dessins et écrit ses analyses sur tous les détails physiques des membres de la famille, et le père qui occupe son temps libre à créer des poupées, était très beau, mais pas assez subtil, pas assez travaillé.
Par ailleurs, le côté Argentine-terre d'accueil des nazis n'est pas assez exploité non plus pour un public étranger qui ne connaît pas forcément l'histoire du pays. On est étonné par cette école allemande, par tous ces Allemands qui préservent amoureusement leur culture d'origine, abritant ainsi facilement, incognito, d'anciens nazis et un petit réseau secret d'activistes leur facilitant la tâche et entretenant la flamme de la philosophie des "surhommes". Il faut savoir que ces écoles existaient bien avant la guerre, sans aucune connotation raciste, pangermanique ou raciste. Beaucoup d'Européens miséreux se sont installés en Argentine du XVIe au XXe, l'Amérique du Nord au Sud étant un vaste eldorado où se faire une belle vie. Pourquoi un endroit plutôt qu'un autre ? Question de goût, de climat, d'espace et d'opportunité. Ensuite, quand une petite communauté s'est installée avec succès dans un endroit, elle en attire forcément d'autres : c'est plus facile lorsqu'on débarque de retrouver des gens qui parlent votre langue, ont les mêmes traditions que vous. Beaucoup d'Allemands vivaient ainsi tranquillement, en Patagonie, devenant de vrais Argentins, tout en préservant leur culture. Ce qui fut donc une prodigieuse base arrière pour les anciens nazis fuyant le "nettoyage" d'après guerre.
Spoilers. L'interprétation de tous les acteurs est formidable. Je regrette seulement le choix de ce brun aux yeux bleus, visage carré, pour le personnage principal. J'étais persuadée pendant tout le film que c'était... le fils caché d'Hitler, et qu'on allait le découvrir à la fin. J'ai donc été presque déçue, mais force est de constater qu'ils l'ont choisi en rapport avec le physique du docteur Mengele, également brun aux yeux bleus. Faut dire que je n'avais pas lu le pitch... on révèle en fait la réelle identité du médecin presque partout ! Et pour les obsédés de films fantastiques... NON, le prénom de la petite fille n'a rien à voir avec le diable ! Si ce n'est que la réalisatrice l'a choisi car Lilith fut la première femme à se révolter dans la Kabbale juive. Tout comme sa mère s'appelle Eva ; autre prénom biblique, qui renvoie à toutes les femmes et mères du monde. Fin des spoilers.
Paysages magnifiques de Patagonie... ça donne envie d'y courir !
La critique a bien aimé dans l'ensemble : "Une ambiance erratique et ombrageuse plane sur "Le médecin de famille" (…). La photographie est percutante et morbide à la fois, de par ces images et cette atmosphère sinistre. Une image pourtant souvent adoucie par la beauté du paysage profane de la Patagonie." (AVoirALire) ; "Cette œuvre cathartique, doublée d'un conte glaçant sur la séduction du Mal, s'attaque à un pan encore tabou de la mémoire de l'Argentine." (Le Monde) ; "Malgré des ficelles un peu épaisses, ce drame argentin, tourné dans des décors magnifiques, raconte à la manière d’un thriller historique la traque aux criminels nazis réfugiés en Amérique du Sud." (Le Parisien) ; "Un conte cruel dont la splendeur formelle n’a d’égale que la magnifique toxicité." (TéléCinéObs).
""Le Médecin de famille" brosse en creux l’histoire d’un pays complaisant où les réfugiés nazis massés en colonies vivaient presque au grand jour. (...) Pour le reste, la réalisatrice suit la trace d’un "ange de la mort" banal, (...) tout en forçant le trait du symbolisme." (Libération) ; "Lucia Penzo s'obstine à vouloir traiter un trouble sans jamais le créer. Et son film, petit bras, de ressembler à un instrument d'observation." (TF1 News).
Le public a aimé aussi, certains regrettant, comme moi, un manque de développement sur certaines parties.
Le scénario est inspiré d'un roman, Walkoda, de Lucia Puenzo, qui est écrivaine avant d'être réalisatrice, dont tout le monde semble s'accorder à dire qu'il est supérieur au film.
Mais voyez Le médecin de famille ; ça vaut le coup.