« Tout va bien »

Publié le 09 décembre 2014 par Collectifaquatre

Ce sont les derniers mots qu’il m’a dit, il y a 20 ans, alors que j’étais partie à Paris, proposer à Monsieur Jeau-Claude Lemagny, alors Conservateur général chargé de la photographie à la Bibliothèque Nationale de France, mes dernières images du moment. C’est en partie grâce à lui que j’étais arrivée à ce résultat. C’est en grande partie grâce à Hubert Grooteclaes que j’ai persévéré dans ma recherche photographique, que j’ai tenu le coup face aux critiques…que je suis restée motivée. Il a été un « Maître » pour moi, déconcertant, exigeant, juste, rarement modéré et parfois… oh là… féroce. Féroce mais bienveillant. Sa révolte, sa colère envers le monde artistique, son pessimisme quand à l’avenir dans la photographie était difficile à entendre. Des annonces telles que : « La beauté est un critère suspect », « L’Artiste est un homme seul » ou encore « La recherche, c’est ce qui se passe quand les autres se sont arrêtés », m’ont parfois désarçonnée.

Hubert Grooteclaes était un photographe autodidacte, né à Liège en Belgique. Avant d’enseigner, il était portraitiste en centre ville. Dans son studio, en plus de nombreux artistes tels que Jacques Brel, Pierre Brasseur, Jean Marais ou Edith Piaf, nombre de Liégeois s’y sont fait portraitiser.

J’ai appris peu de technique de lui, peu importe, je l’ai trouvée ailleurs, d’autres professeurs s’en sont chargés. Avec lui, j’ai surtout appris en l’écoutant, il attendait ses élèves dans la salle claire, à la sortie de la chambre noire, là où nos tirages (argentiques) lavaient puis séchaient. Là commençaient les discours, les critiques. Pour résumer; ce que j’ai retenu de lui, c’est la réflexion, l’application, le travail, encore et encore « on peut toujours faire mieux » disait-il sans cesse. « Je voudrais que l’école soit un lieu où je pourrais motiver les motivables ». « Un lieu où il n’est pas interdit de s’épanouir. « Une rencontre où se faciliteraient les choses compliquées plutôt qu’une «statistique de la contrainte» et un endroit où se compliquent les choses simples. Il faut ouvrir les yeux aux gens. Il faut ouvrir les yeux aux jeunes « .

« Il disait à ses élèves: «II faut vider le paysage que vous photographiez […]. Je veux dire qu’il faut y aller plusieurs fois, le voir sous tous les angles. Il ne faut pas rester à la surface des choses, il faut entrer ». Il attendait de ses élèves qu’ils le surprennent. Il leur faisait faire ce qu’il aurait aimé faire lui-même. «Je suis toujours à la recherche, chez les autres, de la photographie qui me fera pleurer de joie». Jamais pourtant il n’a imposé sa manière. Au contraire, passionné, enthousiaste, il révélait à beaucoup leur propre potentiel et encourageait la créativité de chacun. Ses élèves, Jean-Paul Brohez, Thomas Chable, Michel Cleeren, Jean-Luc Deru, Vincent de Waleffe, Bernard Gille, Pierre Houcmant, Damien Hustinx, Alain Janssens, Anne Karthaus, Alain Kazinierakis, Olivier Lefèbvre, Sam Mohdad, Dominique Monjoie, Lucia Radochonska, Jean-Louis Vanesch, pour n’en citer que quelques-uns, se sont engagés dans leur propre voie et ont développé un style personnel. On peut aujourd’hui, grâce à l’enseignement d’Hubert Grooteclaes, parler d’une école liégeoise de photographie. » Marc Vausort, conservateur du Musée de la Photographie de Charleroi (Belgique)

Son enseignement se poursuivait avec ses anciens élèves qui le voulaient. On s’en souvient, nous tous, qui l’avons rejoint maintes et maintes fois au café des Carmes. Montrer nos planches contact, nos avancées créatives, nos recherches avant d’ensuite recevoir ses avis, ses critiques et discuter sans manquer de finir la soirée par une belote! Si si, vous avez bien lu; une belote!

Pour terminer cette petite évocation d’un Grand Homme, Artiste, j’aurais aimé parler de ses images, dire le plaisir que j’ai eu de les découvrir en leur temps, de les côtoyer, de vivre la photographie en même temps qu’elles, avec lui. Mais je ne peux pas, je n’y arrive pas. Trop d’émotions quand je les re-découvre… Je vous laisserai le soin de vous faire votre opinion avec ces quelques images ci-dessous et en allant visiter son site :http://www.hubertgrooteclaes.com/fr/accueil.html

Mais pour résumer : à l’époque des portraits de studio, ont suivi une période avant gardiste… avant d’ensuite se diriger vers une grande série plus « humaniste » tout en y incluant sa technique du flou colorié.

Sachez aussi pour ceux qui pourront se rendre à Liège avant le 25 janvier 2015, que le Musée Curtius présente une grande rétrospective de son oeuvre pour marquer le 20ème anniversaire de son décès.

Et laisserai conclure son grand ami Léo Ferré :

« Dans les photos d’Hubert Grooteclaes, il passe un ange noir, cet ange indéfini que les solitaires connaissent bien, encombrés qu’ils sont de leurs façons mélancoliques. »