Un après-midi d’été, au jardin du Luxembourg, Arthur Rimbaud tombe sur Led Zeppelin.
La conversation s’engage autour du Grand Bassin. Il fait chaud. Il fait soif. John Bonham boirait bien une petite mousse. Rimbaud connaît un pub pas loin de là, un vrai pub avec de la Guinness épaisse et plus sombre qu’une nuit en enfer. Le petit groupe se met en route, Bonzo devant, qui marche au radar et pousse en premier la porte, une pinte! Une pinte tout de suite, un trait de bière assez long pour irriguer toute la longueur de ce gosier asséché.
Derrière le bar, Oscar Wilde imperturbable tire sur le levier et le liquide noir s’écoule sans bruit sous son beau col doré.
Le soir est venu avec le whisky. Robert Plant et Arthur Rimbaud ont écrit trois-quatre courts poèmes en prose et Jimmy Page trois-quatre plages de guitare. John-Paul Jones a fait les arrangements.
À l’aube, Rimbaud est parti mais Arthur est arrivé et le groupe s’est métamorphosé. Led Zeppelin chante en Français, une chanson nouvelle qui s’appelle « Bic Medium ». On y retrouve l’épaisseur et la couleur d’un blues enragé qui parle d’un homme qui marche sur le fil de la raison.
Since I’ve been loving you,
I’m about to lose
My worried mind.
C’est toujours pareil, en musique, en littérature ou en peinture : on cite des références, on glose, on essaie de se rassurer, de savoir par quel mystère, quelque chose de nouveau nait de tout ce qui a déjà été créé. On voudrait bien comprendre comment ces corps immenses et insaisissables ne cessent de grandir et de se transformer alors qu’ils se nourrissent des mêmes notes, des mêmes mots, des mêmes traits de pinceau, des mêmes phrases recomposées, des mêmes harmonies reformulées et des refrains qui semblent si faciles à deviner une fois qu’on les a écoutés.
C’est toujours la même chanson.
Et pourtant, un soir, on reste saisi dans l’habitacle de sa voiture. Les phares, la pluie, les pointillés de la ligne blanche sont happés par le grain du son rugueux qui sort des portières en écorchant les haut-parleurs. La voix creuse, tranche, parle, raconte l’histoire d’un ami qui est parti de l’autre côté de la terre; l’histoire d’une barre d’immeubles qui navigue au large des côtes toscanes, mais sur la mer, les immeubles finissent toujours par couler. La voix murmure, rage, hurle, blême, emphatique, mélodique, sans jamais réciter, sur le fil d’un blues parlé qui ne chante que lorsqu’il doit chanter.
Feu! Chatterton, mélange inédit de rock aux bras noueux et de textes scandés remplis d’adjectifs que l’on ne retrouve que dans des recueils de poésie que plus personne ne lit. Feu! Chatterton, du feu qu’on étend sur le ruban adhésif d’une toile isolante pour éviter que le froid de la nuit adhère à nos semelles et nous empêche de décoller.
Feu! Chatterton était en concert à Lausanne et nous nous sommes envolés pour une heure, une heure ailleurs, hors du brouillard et du temps atone où les heures inutiles s’écoulent sans bruit du flanc entaillé de la vie.
Il faut choisir.
La vie est ailleurs.
Merci au groupe, à Arthur, qui a si bien su traduire « Oh yeah » en Français, à Raphaël qui répond aux coups de feu du texte avec ses baguettes, comme un autre batteur qui aimait trop la bière. Longue vie à Feu! Chatterton!
Le concert de Couleur 3 en écoute dans Pl3in le poste LIVE.