J’aime connaître le parcours des sportifs qui réussissent, de ceux qui se fixent des objectifs que l’on pense “impossibles” et qui les réalisent. Ce qui m’intéresse particulièrement est l’histoire de ces hommes et de ces femmes “ordinaires”, qui ont un travail, une vie de famille et qui décident un jour de se lancer un défi incroyable. Le qualificatif qui revient le plus souvent quand on parle de ces exploits est celui de « fou ». Faut-il penser que ces êtres qui défient les limites du corps ont basculé dans la folie ou qu’ils ont simplement besoin d’aller au-delà d’eux-mêmes? J’ai donc eu envie de souligner quelques ressorts psychologiques inhérents à ces exploits.
La première question que l’on se pose est celle du “Pourquoi”? Car un exploit engendre nécessairement une souffrance physique et mentale et il faut donc avoir un puissant moteur intrinsèque pour pouvoir le réaliser. Il y a donc nécessairement une motivation hors du commun qui est puisée dans une histoire personnelle. On peut prendre l’exemple de l’exploit de Philippe Croizon, amputé des jambes et des bras qui a traversé la Manche à la nage en 13 heures et 26 minutes. Il déclara ainsi «Dans mon cas, je n’avais absolument pas envie d’aller au-delà de mes limites avant mon accident. C’est cet événement extérieur qui m’a donné envie de me dépasser. J’ai vécu des mois et des mois d’hospitalisation, des dizaines d’heures d’opérations, des centaines de jours de rééducation. A partir de ce jour-là, j’ai été obligé de me dépasser ». Un évènement traumatisant peut être ainsi un moteur puissant qui transforme la quête en véritable sens personnel. Dans ce cas, on peut parler de résilience qui permet à une personne de surmonter un traumatisme, un handicap et se l’approprier pour mieux le vivre.
L’exploit sportif permet autant de se dépasser soi-même que de dépasser les autres en réussissant quelque chose que personne n’a réussi auparavant. Cela a encore plus de poids dès lors que la médiatisation couvre l’évènement. Car si l’exploit était réalisé seul et sans personne pour en être témoin, il n’aurait pas cette valeur d’exemple. On peut aussi prendre le cas de Maud Fontenoy, qui a été la première femme à traverser l’Atlantique à la rame et en solitaire. Elle a parcouru 6700 kilomètres en 117 jours: « Se lancer dans des défis comme ceux que j’ai réalisés, reconnaissons-le, n’est pas raisonnable. Il faut de l’audace ! Or certains laissent leurs rêves au grenier parce qu’ils ont peur du regard des autres, peur d’échouer, peur de l’avenir, peur de ne pas savoir défendre leur projet. Mais la peur ne devrait jamais être une excuse ». Réaliser un défi, c’est donc découvrir ses limites psychologiques: arriver à dépasser ses peurs, ses angoisses et ses doutes également.
Il est certain que l’exploit sportif est la rencontre d’une personnalité particulière avec une puissante motivation personnelle . Il faut à la fois un sens (pas forcément conscient) et des traits de personnalité particuliers pour vouloir se confronter à ses limites. Il y a une recherche de sensations fortes par exemple. On peut remarquer aussi la dimension narcissique qui est présente dans certains cas. J’ai toujours voulu vivre des choses différentes des autres, explique Christine Janin, première Française sur l’Everest, première femme à atteindre le pôle Nord à skis: “J’aimais sortir du lot, me faire remarquer… Et j’avais la force nécessaire pour pouvoir le faire. “ Il peut y avoir la volonté de montrer à quelqu’un en particulier (à un parent) ou au plus de monde possible ses capacités aussi bien physiques que mentales. Il y a l’envie de se faire remarquer et de démontrer une image positive aux autres, qui peut être utile quand elle est accompagnée d’un message (humanitaire ou autre).
On retrouve également dans le discours de nombreuses personnes qui ont réalisé un exploit sportif un besoin de se prouver son existence, d’y donner un sens. On peut prendre l’exemple d’Alain Robert, qui a escaladé de nombreux monuments à main nues comme l’Empire State Building ou la Tour Montparnasse: “Mon intérêt, c’est le vide. C’est beau, c’est puissant, et c’est mortel“. Mais c’est aussi cette dimension qui pose la question du dépassement des limites. C’est le cas de l’apnéiste no-limit Herbert Nitsch, qui est détenteur du record de l’apnée et qui a eu un accident en tentant de dépasser son propre record. Il est allé contre les avis des médecins, à 244 mètres avant de tomber dans le coma. Il garde de nombreuses séquelles de son accident et pourtant il caresse l’espoir de dépasser à nouveau son record. A la question du “pourquoi replonger”, il répond: “Pour me prouver que je peux le faire, bien évidemment. Je n’aime pas les mots “jamais” ou “impossible”. Et, en vérité, je me suis toujours senti plus à l’aise sous l’eau. Aujourd’hui plus que jamais. Sous l’eau, je ne me sens pas de limites. A terre, maintenant, un peu, quand même“.L’exploit sportif est sans doute addictif, car le dénominateur commun de tous est de ne s’être pas contenter d’un seul exploit. Il y a peut-être un ressort inconscient qui ne réussit pas à être comblé. Car depuis, Philippe Croizon a traversé les 5 continents à la nage et a réalisé le record du monde d’apnée en tant qu’handicapé. Maud Fontenoy a réussi la traversée du pacifique à la nage et aussi à faire le tour du monde en bateau à contre-courant. Ou s’arrête ce besoin d’en faire toujours plus?
Alors, faut-il être fou pour se lancer dans de tels défis? J’aime beaucoup la réponse de Philippe Croizon à cette question: “Heureusement qu’il y a des “fous furieux” alors, car sans eux, nous n’aurions pas découvert l’Amérique, nous n’aurions jamais posé un pied sur la Lune, etc, les exemples sont nombreux. L’Homme ne peut avancer et aller de l’avant qu’en dépassant ses propres limites. Et l’Histoire montre que c’est ce qu’il a toujours fait”.