Évènement culturel, musical, parisien et même politique du mois de novembre 2014, l’inauguration du Grand Auditorium
de Radio France a fait venir du beau monde pour écouter d’une manière particulièrement originale des grands classiques de la musique européenne joués par des orchestres prestigieux. Cette
nouvelle salle apporte une complicité nouvelle entre le public et les musiciens.
Ce n’est pas tous les jours qu’une grande salle de concert est
construite en France. Le vendredi 14 novembre 2014 à 20 heures a été inauguré le Grand Auditorium de la
Maison de la Radio, au siège de Radio France, dans le 16e arrondissement de Paris, qui avait fêté son cinquantième anniversaire
l’an dernier. Réalisé dans le cadre des grands travaux de rénovation de l’ensemble (le plus imposant et le plus long chantier de Paris pour les années 2010), ce Grand Auditorium a ouvert ses
portes au public quelques mois avant l’inauguration d’une seconde grande salle de concert parisienne, la Philharmonie de Paris, qui sera située à la Cité des la Musique, de l’autre côté de Paris,
inaugurée en février 2015 et dont le président, Laurent Bayle, avait tenu à être présent.
Cette salle va essentiellement servir aux deux orchestres de Radio France, l’Orchestre Philharmonique de
Radio France, habitué à la Salle Pleyel (que j’appréciais beaucoup pour ses qualités acoustiques et le confort de ses fauteuils), qui restructurera ses activités, et l’Orchestre National de
France, habitué au Théâtre des Champs-Élysées.
Le projet était très ambitieux : la date avait été fixée plus d’un an auparavant, quand rien n’avait
encore été construit, et il a fallu beaucoup de travail, de stress, de pression pour parvenir à atteindre l’objectif du calendrier. Certes, les toilettes avaient encore quelques défauts, les
balcons les plus élevés étaient encore interdits au public, l’orgue ne montrait que ses tuyaux les plus impressionnants (en tout, 5 000 tuyaux de 8 centimètres à 8 mètres) et ne sera
inauguré qu’en septembre 2015, mais l’essentiel était prêt et réussi, mais les artistes et autre personnel de Radio France semblaient visiblement soulagés d’avoir gagné leur pari.
Une cathédrale radiophonique
La nouvelle salle a coûté une quarantaine de millions d’euros, soit un dixième environ du budget de la réhabilitation. Elle peut contenir jusqu’à 1 461 spectateurs et est très différente des
autres salles de concert car elle est circulaire. La scène propose une surface de 260 mètres carré permettant la présence de 120 musiciens et 120 choristes, Le volume acoustique est de
18 000 mètres cube.
Elle ressemble à une immense cathédrale en bois (hêtre, merisier et bouleau), dont l’orgue renforce
l’impression, aussi circulaire que celle d’Évry, qui place l’orchestre au centre, pouvant être écouté de
toute part. Cette proximité assez plaisante à l’oreille est le résultat d’un défi pour l’architecte : la faible surface au sol nécessitait une configuration tout en hauteur : « L’espace disponible (…) nous a obligés à choisir une disposition assez verticale, en superposant les différents balcons sur le pourtour de la salle venant
entourer la scène. Ainsi, ce qui aurait pu apparaître comme la contrainte majeure est ce qui donne à la nouvelle salle son identité et toute sa qualité : une salle intime et chaleureuse
marquée par la très grande proximité du public avec l’orchestre. » (dixit l’architecte).
La plupart des balcons sont effectivement plus au-dessus de l’orchestre qu’à côté, l’angle d’observation est
ainsi très raide, je le dis pour ceux qui pourraient souffrir de vertige, car ils risqueraient d’avoir quelques sérieux malaises. Les places habituellement situées "à l’orchestre", en
rez-de-chaussée, sont peu nombreuses, seulement trois rangées qui font toute la largeur de la scène. Les autres places sont donc en balcons sur trois ou quatre étages.
L’intérêt d’une telle configuration, c’est que l’auditeur est placé au milieu de la musique, en immersion
totale, ce qui donne une sensation bien différente des salles traditionnelles, avec cette idée qu’il nage au milieu des notes de musique. Cette sensation était très prenante pour le Boléro, par
exemple. Une nouvelle façon très privilégiée d’écouter de la musique.
De très nombreux et longs réglages ont été nécessaires pour rendre parfaite l’acoustique de la salle, et d’autres sont encore nécessaires. Un plafond
mobile très sophistiqué pour refléter les sons, suspendu à quatorze mètres de haut, permet de perfectionner ces réglages. Les musiciens devront s’y habituer car tous les sons sont désormais
perceptibles, même les plus faibles, et ils devront sans doute jouer autrement, moins fort que d’habitude, car la salle est plus petite que les autres, le son s’y propage plus facilement.
Les invités
Sans faire un long discours (juste quelques phrases), le jeune président de Radio France Mathieu Gallet a accueilli pour cette soirée exceptionnelle toute l’aristocratie républicaine du pays, qu’elle soit politique et culture. On a d’ailleurs du mal à
imaginer que la Révolution française s’est déjà déroulée, tant la cour et l’arrière-cour du gouvernement étaient présentes, telle une noblesse
étatique, avec ses petites allégeances, ses petits sourires de connivence, ses petites grâces et disgrâces.
Le Président François Hollande, invité, n’a pas pu venir, et
la place d’honneur fut réservée au Premier Ministre Manuel Valls accompagnée de son épouse mélomane, Anne Gravoin (qui est violoniste et dont le
père était violoniste titulaire au Philharmonique de Radio France).
Beaucoup de personnalités politiques et culturelles sont donc venues à la soirée, en particulier la Ministre
de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, la Ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin, le Secrétaire d’État aux Affaires européennes Harlem Désir, le Défenseur des droits (et ancien Ministre
de la Culture) Jacques Toubon, les anciens ministres Jack
Lang, Renaud Donnadieu de Vabres, Frédéric Mitterrand, Élisabeth
Guigou, Pierre Joxe, Jean-Noël Jeanneney, le président de France Télévisions Rémy Pflimlin, le président du CSA, Olivier Schrameck, son prédécesseur Michel Boyon, l’ancien président de Radio France Jean-Luc Hees, la maire de Paris Anne Hidalgo, Philippe Val, Jérôme Clément, David Assouline, Bruno Julliard, etc.
Au programme de ce soir
Le programme de la soirée inaugurale fut savoureux, et avait pour but non seulement de faire jouer les deux
orchestres (l’un en première partie, l’autre en seconde), mais aussi le Chœur de Radio France.
L’Orchestre National de France dirigé par son directeur musical Daniele
Gatti a officié pendant les soixante-dix minutes de la première partie : "Slava’s Fanfare" d’Henri Dutilleux (qui est mort le 22 mai 2013
à 97 ans), l’ouverture de "Tannhäuser" de Richard Wagner, la Grande Suite de "Der Rosenkavalier" de Richard Strauss (dont on a célébré le cent cinquantième anniversaire de la naissance cette
année), et enfin, le fameux "Boléro" de Maurice Ravel.
Slava’s Fanfare avait été composé à la "gloire" du violoncelliste Mstislav Rostropovitch (surnommé "Slava"
qui veut dire aussi gloire en russe) et reprend le thème du "Concerto pour violoncelle" de Dvorak que jouait souvent Rostropovitch. C’était le même orchestre qui avait créé cette œuvre au Théâtre
des Champs-Élysées en 1997, pour les 70 ans du violoncelliste, ainsi que plusieurs œuvres de Dutilleux.
Interprété ce soir-là avec le plaisir des oreilles, Tannhäuser fut sifflé par le public lors de ses premières
représentations au milieu du XIXe siècle, mais Wagner fut soutenu par Baudelaire et Théophile Gautier au point d’en devenir célèbre.
Richard Strauss a dû la clémence, lorsque des soldats américains vinrent le chercher dans son chalet bavarois
en 1945, à la passion des opéras de l’officier à qui il avait dit : « Je suis le compositeur du Chevalier à la rose et de
Salomé ! ». Cela lui a permis de composer en 1946 la Grande Suite orchestrale du Chevalier à la rose, opéra qu’il avait composé en 1911 et qui fit sa notoriété, reprenant la
nostalgie de Vienne à l’époque impériale.
Si le Cavalier rose était un peu ennuyeux, le Boléro fut au contraire extraordinaire, surtout lorsque le
spectateur était placé en hauteur, au-dessus de l’orchestre, ce qui lui permettait de voir l’intervention de chaque instrument, au fur et à mesure de l’évolution, dans la régularité précise du
batteur Emmanuel Curt (premier percussionniste solo) installé au centre de l’orchestre.
L’Orchestre Philharmonique de Radio France
dirigé par son directeur musical Myung-Whun Chung a ensuite pris le
relais pour les cinquante-cinq minutes de la seconde partie : "Roméo et Juliette" de Serge Prokofiev, "Ave Verum Corpus" K618 de Mozart, et la deuxième Suite avec chœur de "Daphnis et Chloé"
de Maurice Ravel.
Musique du ballet inspiré par Shakespeare, le Roméo et Juliette fut interprété de façon éclatante et
fantastique par le Philharmonique qui l’a déjà joué plusieurs fois dans son histoire avec Chung.
Le bref Ave Verum, sur le thème de la Passion du Christ, ne semblait en revanche pas trop avoir sa place dans cette programmation, si ce n’était pour permettre au Chœur
de Radio France de participer, lui aussi, à l’inauguration des lieux, même si la sonorité ne semblait pas encore parfaitement adaptée aux seules voix.
Daphnis et Chloé, tout en sensibilité du chef d’orchestre, était bien connu du répertoire de Chung et du
Philharmonique puisqu’ils l’avaient déjà enregistré pour Deutsche Grammophon en 2004 (au Studio 104) et l’avaient interprété plusieurs fois en
concert, notamment à Moscou, Shanghai, San Francisco et Tokyo. C’était d’ailleurs intéressant d’entendre deux œuvres de Ravel à la suite, car on retrouve un peu du Boléro dans Daphnis et Chloé,
ou plutôt le contraire, puisque le Boléro a été composé dix-neuf ans après Daphnis et Chloé.
Enfin, acceptant un bis après les ovations, le chef Chung a pris le micro en proposant de faire de la Marche
du Toréador issue de "Carmen", composé par Georges Bizet, l’hymne national de la France ! Et de la faire jouer avec tout le dynamisme joyeux du Philharmonique. Ce n’était pas la première
fois que Chung s’amusait ainsi à jouer l’un des morceaux qu’il préfère le plus de la musique française (personnellement, j’aurais plutôt choisi la Suite numéro deux de "L’Arlésienne" comme
hymne !).
Une salle déjà bien occupée
Le concert de l'inauguration a été diffusé en direct sur France Musique, Culture Box, Mezzo TV, Arte Concert
et sera diffusé plus tard sur la chaîne France 2.
Depuis ce 14 novembre 2014, le Grand Auditorium a déjà accueilli douze concerts, dont ce vendredi 5 décembre
2014 un "Expresso concert" (César Franck par le chef Mikko Franck, futur directeur musical du
Philharmonique de Radio France), premier d’une série de petits concerts d’une heure à tarif unique et placement libre (15 euros ou 5 euros par abonnement), pour inciter de nouveaux auditeurs à
découvrir la musique classique. Il y a eu aussi deux concerts dirigés par le compositeur Peter Eötvös pour son 70e anniversaire, et d’autres concerts étaient particulièrement destinés
aux familles (comme celui du 29 novembre 2014 : "Pierre et le Loup" de Prokofiev, dirigé par Laurent Viotti).
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (8 décembre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les 50 ans de la Maison de la Radio.
Concert du 14
juillet.
Manuel Valls.
Najat Vallaud-Belkacem.
Myung-Whun Chung.
Mikko Franck.
Mathieu Gallet.
Jean-Noël Jeanneney.
Jean-Luc Hees.
Philippe Val.