René, le narrateur et peintre amateur, vient régulièrement passer ses vacances depuis six ans dans un bastidon perdu au cœur du Lubéron, « … avec l’espoir inavoué qu’un jour des figures vivantes sortiraient de cette montagne immense et si douloureusement solitaire. » Il y retrouve la vieille Titoune qui lui sert de servante quelques heures par jour ou encore Firmin, un taiseux qui braconne dans le maquis. Pourtant cette année les choses ne se passent pas comme d’habitude, la Titoune épuisée et étrangement anxieuse doit laisser sa place à une gamine de quinze ans, Marie-Claire. Firmin lui aussi parait taire un secret et tous s’intéresse de près au fusil de René. Le mystère diffus qui pèse sur les lieux et les acteurs « Car j’avais peur. Je n’ignorais que j’avais peur » avoue le narrateur, s’épaissit quand poussé par Firmin, René va se retrouver embarqué dans une aventure énigmatique et risquée au cœur de la montagne où vivent secrètement un énorme sanglier accompagné d’un colosse, une bande de gitans de passage et une très inquiétante jeune femme en noir…
Un livre magique écrit par un écrivain qui me ravit au plus haut point à chaque fois que j’ouvre l’un de ses romans. Tout me plait là-dedans ! L’écriture, tout d’abord, simple dans les mots et parfaitement rythmée dans ses phrases longues en bouche, sans pour autant être pénalisée par un aspect daté qui serait bien naturel pour un bouquin datant des années trente. Les décors qu’on ne peut oublier, ce Lubéron superbe que nombre d’entre nous avons certainement fréquenté durant des vacances (contrairement aux lieux - similaires d’une certaine manière -, chers à nos écrivains américains de Nature Writing). Nature sauvage et vierge encore de présence humaine à cette époque, ce qui permet à l’écrivain d’y inclure un élément essentiel faisant tout le charme de son roman, la part de mystère émanant de la montagne proche, ses roches et ses taillis où tout peut s’y cacher, de l’orage qui frappe ; des « présences » non identifiées qui rôdent et même entrent dans la maison de René à son insu.
Tout le roman repose sur cette ambiance doucement mystérieuse, ces personnages et cette bête dont on ne saura finalement jamais rien (et c’est mieux ainsi). Scènes d’attente, le chasseur guettant sa proie ou bien l’inverse ; scènes d’action avec des courses éperdues à travers les chemins de caillasses, les ronces et la rocaille sous le sombre manteau de la nuit qui tombe et le souffle de la mort aux trousses.
« Le parfum se déplaça. De l’angle de la porte qu’il occupait d’abord, il marcha vers la table, puis s’éloigna vers la fenêtre et s’arrêta comme si l’on cherchait à tâtons. Il y eut un nouvel arrêt qui dura un siècle. Ensuite l’odeur s’avança vers moi le long du mur. A mesure qu’elle s’approchait, un effluve de chair sauvage se dégageait de cette colonne de senteurs en marche. Je le perçus qui tout à coup s’immobilisait, à la tête du lit. Il me dominait de toute sa hauteur, sans bouger. Je ne respirais plus, j’attendais. Rien. »