Les dernières semaines de novembre sont l'occasion pour moi de faire le bilan de la rentrée des grands networks américains. Après avoir beaucoup présélectionné et jeté un œil à une poignée de pilotes en septembre, sans le moindre coup de cœur, j'accorde une chance à une ou deux nouveautés pour un éventuel rattrapage de mi-saison coïncidant avec le hiatus hivernal. C'est pourquoi je peux donc désormais écrire que How to get away with murder a confirmé toute mon incompréhension face à une écriture de tous les excès, dont il est attendu de chanter les louanges actuellement, mais dans laquelle je ne me retrouve décidément pas. Cependant, c'est un cas plus ambigu -que je n'ai pas encore tranché définitivement- qui a retenu mon attention. Celui d'une autre nouveauté, diffusée sur CBS : Madam Secretary.
Pour qui The West Wing a constitué un déclic dans sa sériephilie de jeunesse, le retour à Washington est toujours empreint d'une certaine nostalgie, entremêlée d'espoirs et d'attentes souvent mal récompensés, à l'aune desquels sont invariablement évaluées toutes les nouvelles prétendantes. Arpenter les coulisses du pouvoir -de Scandal (deux saisons visionnées) à House of Cards US (vu 2 épisodes, puis j'ai préféré regarder à nouveau House of Cards UK), en passant par la toute récente State of Affairs (non testée)- exerce toujours un attrait, en dépit du passif représenté par Commander in Chief ou encore Political Animals. Face à tous ces précédents, au terme de ces onze premiers épisodes, où Madam Secretary se place-t-elle sur l'échelle des fictions politiques américaines du XXIe siècle ?
Madam Secretary, c'est l'histoire d'Une fille à scandales (Téa Leoni) qui se retrouve propulsée au poste de secrétaire d'État suite à la disparition de son prédécesseur dans un mystérieux accident d'avion. Proposant un mélange des genres au sein duquel l'équilibre n'est pas immédiat, la série esquisse un cocktail ambitieux, se plaçant au confluent du thriller diplomatique international (un récit de gestion de crises au quotidien), du drama familial (la nomination à une fonction aussi exposée troublant quelque peu l'harmonie familiale de la nouvelle secrétaire d'État) et de la fiction conspirationniste (que cache la mort de l'ambitieux homme d'État dont elle a pris la succession ?). Les débuts n'en sont pas moins poussifs, pas seulement parce que Bess McCord doit apprendre à faire face aux contraintes de son nouvel environnement professionnel et à l'hostilité relative d'un staff qu'elle n'a pas choisi.
Sur le plan politique, le format procedural sied assez mal aux crises internationales majeures qu'il convient de régler en 40 minutes, montre en main, et à la complexité inhérente aux jeux diplomatiques. De plus, il est difficile de rejouer Treize jours toutes les semaines en y insufflant la tension dramatique qui convient. À ces problèmes de crédibilité qui entachent l'efficacité des scénarios, s'ajoute un portrait des relations internationales, cédant à bien des caricatures et autres poncifs, qui peut légitimement agacer. Autant d'aspects sur lesquels une série comme Political Animals, par exemple, s'était irrémédiablement échouée. La force de Madam Secretary va être de parvenir à asseoir et à affiner ses atouts au fil des épisodes, avec une seconde moitié de première partie de saison qui laisse peu à peu entrevoir des choses de plus en plus intéressantes.
La série gagne tout d'abord en homogénéité, notamment en prenant le temps d'exploiter la galerie des personnages qui gravitent autour de Bess. Au sein de son staff, le sens de la répartie des uns et des autres fonctionne de mieux en mieux, y compris dans le registre de l'humour où les répliques et l'impeccable timing de Blake, l'assistant de Bess, font des merveilles. Cela permet de déjouer toute tentation de drama trop pompeux qui se prendrait excessivement au sérieux. Côté familial, la caractérisation reste inégale. Les scénaristes peinent à décider quel rôle attribuer au mari de Bess, entre le professeur observateur extérieur et l'espion réactivé qu'elle entraîne dans son enquête sur la mort de son prédécesseur. Conséquence immédiate, le personnage manque de constance. Mais le couple n'en a pas moins des passages qui sonnent justes, et un potentiel certain qui ne demande qu'à être exploité.
En outre, Madam Secretary acquiert aussi plus de consistance dans son versant diplomatique. À défaut d'histoires originales (avec des sources d'inspiration transparentes), quelques gestions de storylines se révèlent assez intéressantes. Surtout, la série apprend à déjouer certaines évidences, à nuancer un peu ses vues, et plus généralement à ne pas rentrer systématiquement dans une course à la surenchère permanente par crainte de laisser filer l'attention du téléspectateur. La gestion du fil rouge conspirationniste illustre assez bien ce dosage, qui semble se faire plus assuré dans les derniers épisodes. Tout en jouant pleinement la carte d'une méfiance de plus en plus accrue vis-à-vis de la Maison Blanche, l'écriture fait ainsi le choix de ne pas tirer à outrance sur la corde. Les cartes sont abattues rapidement. L'épisode 11 se conclut sur une redistribution qui, en dépassant la piste d'un simple complot interne, ouvre des perspectives. En posant de nouvelles problématiques, la série complexifie d'autant la partie en cours et aiguise donc la curiosité pour la suite.
Transposer dans le petit écran une gestion au quotidien de crises diplomatiques, souvent complexes et qui mériteraient un traitement très nuancé, n'est certainement pas une tâche facile - d'aucuns la qualifieraient d'impossible. Sans surprise, Madam Secretary se heurte à un certain nombre d'écueils propres à cette ambition. Pour autant, en onze épisodes, la série montre une progression dans le bon sens au sein des différents registres qu'elle essaie d'investir. Les dynamiques relationnelles restent certainement l'atout le plus accessible, à préserver et à continuer d'affiner. Quant au versant politique, sans doute le plus fragile, l'écriture se montre capable d'éviter la course à la surenchère et s'offre même quelques fulgurances qui réveillent par instant le fantôme des grandes heures de la fiction politique à la télévision américaine.
Cette première partie de saison est donc inégale, mais laisse cependant entrevoir des choses intéressantes. La série parviendra-t-elle à faire mûrir et à exploiter ce potentiel entraperçu, ou retombera-t-elle dans certains travers dont il est difficile de s'affranchir ? Le reste de la saison nous le dira. Mais, pour l'instant, je compte poursuivre le visionnage malgré ces réserves. Et pour une sériephile aussi peu américano-centrée que moi, c'est déjà à saluer. À suivre.
NOTE : 6,25/10
Une bande-annonce de la série :