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L'OMS décrit la violence "comme l'usage délibérée ou la menace d'usage délibérée de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté qui entraine un risque fort de traumatisme, de décès, de dommage moral de mal développement ou de carence."
La violence peut être d'ordre verbal, psychologique, physique ou sexuelle. Les victimes de violence sont fréquemment des personnes vulnérables, des enfants, des sujets issus de minorités.
Bien que ne comptant pas au nombre des sujets vulnérables, les femmes victimes de violence sont légion.
Dans notre société à l'héritage patriarcal, elle sont victimes au quotidien de ce que l'on nomme les "violences ordinaires" mais aussi de violences conjugales. Rappelons qu'une femme sur 10 est victime de violences conjugales et qu'une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son conjoint ou concubin en France.
Difficile dans ce contexte de ne pas lier climat quotidien et situations se déroulant au sein du huis clos familial.
Notre société est patriarcale, nous l'avons dit, la reconnaissance de l'égalité entre homme et femme n'est d'ailleurs pas si ancienne. Pour mémoire, nous rappellerons le Code Napoléon qui consacra l'incapacité juridique de la femme mariée en 1804. Le parcours sera long jusqu'au préambule de la Constitution en 1946 qui édictera le principe de l'égalité homme-femme, loin d'être une évidence.
Pour mieux comprendre les mécanismes des violences faites aux femmes et l'intrication entre violence ordinaire, violence conjugale et mécanisme d'emprise, nous avons interrogé le Dr Blandin, psychiatre et expert judiciaire.
Pour Jean Marc Blandin, les violences ordinaires faites aux femmes sont "le terrain sur lequel se prépare la violence conjugale". Il décrit les violences ordinaires comme "des contraintes subies, parfois sans en avoir conscience, qui aboutissent à des inégalités, des agressions verbales ou parfois physiques, voire à des situations d'emprise à même de devenir permanentes".
Il précise: "la situation d'emprise correspond à une redistribution des rôles aboutissant à un éclairage permanent sur le seul point de vue de la satisfaction du dominant, de l'assouvissement de ses désirs et de l'étayage à tout prix de ses frustrations."
L'emprise peut ainsi être exercée par la société, elle se matérialise de manière différente si une femme nait en Occident ou dans un pays coutumier de l'excision ou de la charia. Elle sera soumise aux diktats de la beauté, de l'esthétisme, de la désirabilité sociale, des codes sociétaires et de la représentation que les hommes ont d'elles, mais ceux-ci seront très variables d'une société à l'autre.
"La société, en général, a ainsi développé des réponses inégalitaires ou inéquitables aux situations entre les hommes et les femmes dans tous les secteurs de la vie sociale, économique, juridique et affective" précise le Dr Blandin. Il déplore également qu'aucun remède n'ait pu être apporté à cette situation à ce jour alors qu'elle est régulièrement dénoncée dans nos sociétés occidentales.
La cellule familiale se fait le reflet de notre société, l'emprise s'y exerce à titre individuel. Elle se fait le théâtre des mêmes enjeux. Ceux-ci sont renforcés par des représentations encore bien ancrées des rôles masculins (plus souvent dominant) et féminins.
A ce sujet, l'expert nous explique qu'"un engrenage se met en place du fait de la volonté du dominant de maintenir ses privilèges, de la dépendance qu'il développe à leur égard et de la tension qui se met en place entre le dominant et le dominé".
Cette tension va crescendo, le dominant devenant tout puissant au fur et à mesure de l'effondrement des limites de l'Autre qui cède sous la pression. On entre alors dans un cycle de répétition dont on dit classiquement qu'il est "hors limite".
On atteint ici le point de rupture en matière de violence conjugale. La moindre remise en question des acquis de celui qui s'est érigé en position dominatrice provoque sa rage. Ainsi, face à sa victime, redevenue sujet, le violent conjugal met en place toute sorte de comportement afin qu'elle comprenne ce qu'il attend d'elle. Le but étant qu'elle redevienne un objet dénué de volonté propre.
Généralement, la victime tente ensuite de prévenir les accès de violence en adaptant son comportement. Il s'ensuit tout de même une nouvelle répétition au premier prétexte.
L'auteur de violence conjugale assoit ainsi son emprise. Les tensions au sein du couple augmentent jusqu'au passage à l'acte suivant qui les apaisera.
A ce sujet, le Dr Blandin explique que le premier épisode survient comme un "coup de tonnerre dans un ciel serein". Il évoque la surprise, suivie du pardon, puis la terreur associée à l'incompréhension face à la répétition.
A ce stade, la victime est comme anesthésiée. Elle est figée, entre incompréhension et attachement préexistant à l'auteur des violences. Elle survivra en développant un profond sentiment de culpabilité, s'y associera la honte à l'idée que sa situation soit connue. Son ressenti est amplifié par le dénigrement que son compagnon lui fait généralement subir. Dans ce contexte d'impuissance acquise (face à une répétition contre laquelle, la victime ne peut lutter), le développement d'une dissociation péri traumatique, puis d'un état de stress post traumatique ne sont pas rares chez les victimes de violence conjugale.
Cet ensemble emmure les victimes dans le silence et leur fait perdre toute capacité de réaction.
D'autres éléments entrent en ligne de compte. Le clip (voir ci-dessus) que Nordine le Nordec a mis en ligne le 25 novembre 2014 à l'occasion de la Journée Internationale pour l'élimination de violences faites aux femmes en est l'illustration idéale. Il évoque de manière percutante la journée d'une femme victime de violence conjugale. L'auteur décrit les motifs du silence, l'attachement à cet époux si parfait, à cette famille idyllique, aux apparences, puis en fin d'après midi, la mort.
La désirabilité sociale est bien une des causes du silence des femmes. En maintenant leur belle histoire vis-à-vis de l'extérieur, la réalité est plus supportable.
Les victimes vivent l'indicible, l'inaudible. Elles sont déchirées, clivées entre ce qu'elles montrent d'elles à l'extérieur qui est parfois tout ce qui leur reste et la réalité quotidienne. Elles ne parlent plus. Les violences conjugales qui ont pour seul théâtre le huis-clos familial sont les plus graves. Les femmes qui se taisent sont celles qui meurent le plus.
Ces femmes ont peur: peur des représailles de celui qui s'arroge la toute puissance, qui ne laissera pas tomber. Elles ont peur de ne pas être crues: elles doutent d'elles-même. Elles craignent le regard de la société, elle ont honte, culpabilisent et sont souvent dénigrées au quotidien. Elles appréhendent de briser leur famille ce dont elles se sentent responsables.
L'éclatement de la cellule familiale est bien une des craintes des victimes de violence conjugale nous rappelle le Dr Blandin.
Les femmes victimes de violence vivent souvent leur conjoint comme un être protecteur en dehors des passages à l'acte, ce qu'il sait être la plupart du temps, mettant en valeur ses plus petites attentions. N'ayant plus aucune estime d'elle-même, elles ont par ailleurs des difficultés à imaginer mériter autre chose que du rejet. C'est ainsi, qu'elles anticipent souvent l'exclusion de la cellule familiale en cas de départ.
Pour autant, lors de violences conjugales, les enfants ne sont pas protégés. Ils sont également victimes. Ils souffrent de ce à quoi ils assistent et de ce qu'ils perçoivent.
N'oublions pas que les enfants, qu'ils soient témoins impuissant ou sauveteurs sont les adultes de demain.