Pour ce voyage en Inde, après maintes interrogations et pour ne pas mettre Raph en difficulté, nous avons opté pour un trajet dans le Rajasthan avec un chauffeur privé. Cela rassurait Raph pour qui le pays était hostile ; une peur agrémentée de tous les fantasmes occidentaux et les scoops médiatiques !
Tout allait bien ainsi, jusqu’à ce qu’un jour nous l’appelions pour faire une course d’une soixantaine de kilomètres, afin d’assister au Marwar Festival (concours de moustache, nouage de turbans, polo à dos de dromadaire, le tout sur un fond de musique et de danse folklorique). Il n’acceptait qu’en échange d’un « extra ». Mince ! Nous donnions à ce gars l’équivalent d’un salaire minimum mensuel par jour avec des jours de repos ; c’était son boulot et il refusait. Nous étions hors de nous. Quel E….ré, quel tire au flanc ! Tout ça pour ne pas dépenser son essence alors qu’il en économisait les jours off. Sa combine, ses primes malhonnêtes fonctionnaient peut être avec les grisonnants mais pas avec nous. En colère parce qu’il nous avait fait manquer une après midi qui s’annonçait divertissante, parce qu’il avait fait tord à nos valeurs et parce que notre hôte Indien confirmait sa cupidité, nous avons décidé d’arrêter le voyage avec lui. Il l’a bien, puis mal pris ; a essayé de nous faire peur en nous menaçant, puis s’est excusé, a voulu nous culpabiliser et blablabli et blablabla… Voilà Sanjay ce qu’apporte l’appât du gain. Les trois cent trente trois millions de dieux que tu pries te rendent la pareille.
A l’arrivée, une foule dense de fidèles nus pieds, de marchands, de mendiants (la plupart enfant et estropié). Nous étions les seuls petits blancs dans ce capharnaüm. Après s’être péniblement frayé un chemin jusqu’à la porte d’entrée, une file était réservée aux hommes, l’autre aux femmes. Celle des hommes continuait au loin et paraissait interminable, l’autre était fluide. Les gardes nous ont permis d’aller au plus rapide ; il faut bien qu’il y ait des avantages à être touriste ! Mais, avant de franchir la porte, surprise il fallait… se déchausser.
Le sol mi-bitumé mi-terreux était imbibé par l’averse qui venait de tomber. Des graines de nourriture animale humides et collantes se logeaient entre nos orteils. En progressant à l’intérieur de l’édifice, le sol en pierre était glissant, souillé par les défections animales qui tentaient de nous clouer au sol. Après cette entrée en matière, nous avons aperçu…
A partir de cette ville, nous avons fait une excursion dans le désert via le Renuka Hôtel avec Jez et Romain (Leur blog : http://www.onzeroadagain.com/)
Au programme : connaissance avec le chamelier, ballade en dromadaire, confort et/ou inconfort en fonction de l’avancée de la journée, découverte des paysages arides et des animaux qui y vivent (rapaces et gazelles par exemple), apprentissage de la cuisine notamment des chapattis (petit pain local), regard interrogateur sur la vaisselle au sable, surprise d’un campement de fortune efficace contre les bestioles en tout genre, frissons au coucher et levé du soleil sur les dunes de sable…Le plus magique restera un réveil nocturne à contempler les étoiles filantes.
Ensuite, nous nous sommes rendus à Udaipur. Montagnes et lacs entourent cette citée du sud du Rajasthan. Il y fait plus frais et ce n’est pas pour nous déplaire. La ville est réputée pour son artisanat ; la journée shopping fut prolifique. Après le calme (si relatif soit-il) de ce début de voyage nous nous avons fait halte à Jaipur : la citée rose. Rien de fantastique, une grosse ville sans charme à mon goût.
C’était ainsi. Désormais il fallait réfléchir aux autres possibilités:
Le taxi, c’est trop onéreux.
Un tuk-tuk jusqu’au prochain arrêt de train, c’est trop aléatoire.
En solution non loufoque, il nous restait donc le bus.
Un chauffeur de tuk-tuk nous assure qu’il y en a de nombreux pour Agra, notre destination. Il nous emmène dans une agence pour réserver, puis à la gare routière. « Gare », vaste mot : une rue passante, des comptoirs sur le bord de la route, des hôtels entre chaque, pas un seul mot d’écrit en anglais pour se repérer, même notre tuk-tuk driver était perdu. Finalement, c’est dans ce bordel incompréhensible que nous trouverons notre bus. Il est garé dans une ruelle bondée de cartons, de sacs de marchandises en tous genres d’un côté et d’une pissotière improvisée de l’autre. C’est un « Deluxe Bus » paraît-il. Nous nous installons sur nos sièges. L’un ne s’incline plus, comme la majorité d’entre eux, l’autre tient avec un système de cordes accrochées à des barres de fer pour ne pas s’effondrer sur le voisin de derrière. Il s’avérera que ce dernier sera le plus confortable.
Deux indiens souriants ouvrent la discussion et nous apprennent que nous avons payé deux fois le prix du ticket (commission pour le tuk-tuk, le voisin, le cousin et le mécanicien). Ils sont sympas et essayent de négocier la couchette au lieu des sièges mais personne ne veut rien entendre. Le bus démarre à peu près à l’heure, il est remplit, les gens se sont entassés, nous sommes plus du double de la capacité. Il y a même des personnes sur le toit ! Raph pense devenir sourd avec les klaxons incessants de la ville et la musique du téléphone du voisin. Moi, j’essaye de me détendre pour ne pas recadrer le jeune con d’à côté qui n’arrête pas de me reluquer et qui crache dans l’allée à deux centimètre de mes pieds. Le bus est fumeur, notre voisin s’allume clope sur clope. Il fait chaud, à la promiscuité s’ajoutent les odeurs corporelles. Pour disperser les fragrances de pieds et d’aisselles, les fenêtres ouvertes sur l’extérieur apportent un air saturé en gaz d’échappement. Il y a trois femmes à bord, je me sens constamment dévisagée par tous ces mecs dégueulasses. Si encore ils étaient en tantinet éduqué !
Nous sommes arrivés à Agra à trois heures du matin. Après quelques heures de sommeil, nous nous sommes rendus au Taj Mahal pour le lever du soleil.
Après l’épisode du bus, d’une courte nuit, d’une matinée de visite et d’une après midi retrouvaille avec Jez et Romain, nous partons pour New Delhi. Le bus est à 18h30, cette fois nous prenons de la marge et partons un peu avant 17h pour rejoindre la gare à douze kilomètres de là. Comme si les galères s’enchaînaient, nous choisissons le plus mauvais conducteur de tuk-tuk. Il ne s’impose pas pour avoir la priorité, et préférera nous perdre dans les ruelles étroites du marché local, bondées à cette heure d’affluence plutôt que de faire un détour par la voie rapide. Au début c’est drôle, puis à respectivement trente puis quinze minutes du départ encore stoppés dans les embouteillages, ça l’est moins. Finalement nous arriverons à temps, la chance nous sourie de nouveau. Un bus climatisé nous attendais, chacun a un siège attribué, l’eau est même offerte. Quel confort !
Nous serons accueilli à la capitale, dans la maison de Vikram, reçus comme des rois pour savourer un excellent dîner.
A Delhi, nos découvrirons l’ayurveda (médicine locale à base de plante) et assisterons à une séance de ciné Bollywodien. Sensationnel ! Pas besoin de parler Hindi pour la compréhension, gentils et méchants sont clairement identifiés, bastons animées, musiques et danses : un film massala !
Varanasi est sacrée. Une ville de cœur pour les indiens ; une ville unique, semblable à aucune autre pour ce qui est de mes impressions. Une rue, une odeur. Les déchets ornent les ruelles, s’amoncellent ici et là, puis sont brûlés sous les fenêtres des habitants tout comme les corps le long du Gange. La ville est une déchetterie à ciel ouvert mais la proximité du fleuve lui procure un aspect presque serein. Les gens se lavent, font leurs lessives, leurs ablutions, les buffles viennent s’y rafraîchir, les enfants s’amusent sur les berges et les plus âgés viennent papoter tandis que d’autres prennent discrètement en photo les touristes. Ces derniers, curieux, se mêlent à la vie locale pour être confrontés aux coutumes, notamment aux crémations et aux Aanti (cérémonies au bord du Gange). Les voir en reportage est un fait, les voir en réalité en est un autre.
Je fais référence aux bruits incessants des klaxons et des marchands ambulants qui crient pour se faire entendre. Je pense à la promiscuité, aux bousculades et aux coups de coudes pour se faire une place. Je m’interroge sur les castes, la condition de la femme considérée comme une mule, les vaches dont la vie est plus sacrée. Je me mets des œillères pour ne pas être happée par la misère environnante, par ces enfants en souillon qui vous tiennent la main et vous supplient pour quelques roupies. Je me retiens de respirer car certaines rues donnent des hauts le cœur. Mon appétit diminue à la vue des vaches mâchant du plastique, des chiens galeux léchant le sol encrassé de merde…
Publié par Jess.