Surprise de cette fin d’année, Night Call a suscité un large engouement non seulement auprès des spectateurs, mais également auprès de la presse. Un film fédérateur qui pourrait aussi être un sérieux prétendant aux Oscars. Cela valait une critique.
Jake Gyllenhaal poursuit sa carrière d’acteur en diversifiant ses rôles. Après deux passages sous la caméra de Denis Villeneuve (Enemy et Prisoners), et après avoir tourné avec les grands pontes d’Hollywood (David Fincher, Ang Lee, Sam Mendes et Roland Emmerich, entre autres), voilà le talentueux comédien de retour sous les feux des projecteurs dans Night Call, de Dan Gilroy. Il y incarne Lou Bloom, un jeune vidéaste freelance et légèrement crispant (doux euphémisme) arpentant les rues de Los Angeles à la recherche d’images choc, qu’il revend à prix fort aux chaînes de télévisions. En grand acteur, Jake Gyllenhaal endosse une nouvelle fois son rôle avec brio, puisqu’il inspire ici l’aversion totale, souvent même la répulsion. Mais cette interprétation est également une prouesse physique pour l’acteur, qui n’a pas hésité, en effet, à transformer radicalement ses apparences, allant jusqu’à perdre près de 10 kilos pour rendre son personnage encore plus psychotique qu’il ne l’est sur le papier. Le réalisateur et scénariste Dan Gilroy, dont il s’agit ici du premier long-métrage derrière la caméra, fais donc le choix de diriger une vedette pour le rôle clé de son film. Un choix tactiquement judicieux, car sous ses airs de film hollywoodien, Night Call est en fait un film indépendant au budget dérisoire (il n’a coûté que 8 millions de dollars), mais à l’allure pourtant fédératrice. Le scénario de Dan Gilroy vise en effet à la fois le grand public et les amateurs d’un cinéma plus axé sur la réflexion. Sombre, noir et pessimiste, Night Call regorge en même temps de suspense et réussit l’exploit d’intriguer le spectateur, et de le maintenir en haleine.
Jake Gyllenhaal n’hésite plus à transformer son physique. Pour Night Call, il a perdu 9 kilos.
Néanmoins, s’il est difficile de trouver une grosse faille au film sur le papier, il manque parallèlement une mise en scène qui lui corresponde correctement. La réalisation de Dan Gilroy n’explose hélas jamais l’écran, et reste au final bien trop sage en comparaison avec l’aspect incisif du thème abordé. La mise en scène n’est jamais virtuose et ne parvient pas à traduire pertinemment le tranchant du scénario. En conséquence, la tension insufflée par le film ne monte jamais jusqu’à la jouissance cinéphilique, et, au contraire, redescend doucement au lieu d’atteindre l’apogée qu’elle devrait toucher.
S’il est vrai qu’on peut ressentir une légère frustration à ne pas être autant transcendé que l’on voudrait l’être, Dan Gilroy réussit néanmoins à initier intelligemment, au fil du métrage, un axe de réflexion intéressant autour de l’influence des médias.
La télévision n’y est pas à son avantage. Le réalisateur en fait un monde sans limites, affamé de sensations et dépourvu d’humanité, obnubilé par leur audience et leur popularité. Mais cette réflexion ne se borne finalement pas seulement aux chaînes de télévisions. Elle s’adapte également par extension à l’ensemble des médias visuels, et à la puissance de l’image. Dan Gilroy construit donc un plaidoyer, remettant en cause, à un moment ou à un autre, le spectateur vis-à-vis de ses relations avec l’exactitude de l’information, la télévision, ou les autres médias. Les personnages de Night Call se retrouvent tous piégés et acculés, désarmés et impuissant dans cette sournoise, avide et intarissable quête du scoop.
Si l’on est loin du chef d’œuvre de mise en scène, le côté fédérateur du film pourrait bel et bien séduire prochainement Hollywood, faisant de lui un sérieux prétendant aux Oscars. Une jolie surprise qui vaut bien un petit coup d’œil, et qui ne s’oublie pas aussi facilement qu’on peut l’imaginer.