Sidération #3

Publié le 07 décembre 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Odeur de clémentine qui flotte dans l’air frais du matin.
Filets de nuages qui s’étirent dans un ciel de cristal glacé.
Un papier de Quality Street laissé à l’abandon sur le bord de la table.
La tasse à café, vide, exhale encore son odeur âcre, sans sucre s’il vous plaît.
Le soleil qui vient me chauffer le côté droit du visage tandis que je le lis paisiblement sur le canapé, sous le plaid blanc immaculé que je viens d’acheter.
Je rêve à la Russie de Tolstoï et des églises orthodoxes, à la blancheur de la taïga sous le givre qui avance masqué.
Je me sens incroyablement bien et l’espace d’un instant, j’en oublie tout ce qui devrait me soucier.
Je me suis promis que cet hiver je visiterai la cathédrale Alexandre Nevsky de Paris. J’aimerais qu’il neige pour ça.

Quelques courses pour nourrir mon appétit de bonnes choses à l’orée de l’hiver. Des After Eight au citron, un marzipanstollen à l’orange, une deuxième bouteille de Chevalier de Lascombes, Margaux 2011, la première étant déjà presque terminée, trois bouteilles de Gewurztraminer (je me les garde pour Noël), du Potjevleesch à manger sur du pain de campagne, une tranche de Vacherin fribourgeois, un Pont-l’Evêque, un Brillat Savarin… Bref, de quoi rester à la maison au chaud quelques jours. Au supermarché, une petite dame âgée s’est approchée de son mari tout aussi petit, avec un regard espiègle et lui a offert un sachet. Ils se sont souris et il lui a déposé un baiser tendre sur la bouche. Bêtement, j’ai souri en les regardant. C’est, décidément, une belle journée.

C’est la plus belle période de l’année pour regarder la peinture. Je devrais commencer à regarder aussi dans quelle partie du monde je vais m’aventurer.

Le voyage est un battement de cœur supplémentaire. Du voyage on garde des cicatrices, mais inversées, comme si on avait davantage de peau, un peu plus de nous et des autres.

Estelle Nollet, Partir
in L’almanach des voyageurs, sous la direction de Jean-Claude Perrier
Magellan & Cie, 2012

Dans mes tas de livres dont la masse se rapproche de la masse critique, j’ai retrouvé un beau livre que j’avais entamé l’année dernière et qui fait le bonheur de mes courtes soirées en ce moment ; Atlas des îles abandonnées, par Judith Schalansky, préfacé par Olivier de Kersauzon. Un vrai bijou, des textes inattendus et un univers graphique à la fois très marqué et d’une complexité savante. J’aime les formules de l’auteur : Trindade ; Ce lieu est un désastre topographique. C’est le livre de l’éloignement improbable, des îles qui ont tout fait pour qu’on ne les trouve pas, car là où elles sont situées pour la plupart, il ne viendrait à l’idée de personne d’aller les chercher. Que penser des îles portant le doux nom de Solitude, Déception ou pire encore ; Désappointement ? Que savons-vous réellement de ces îles au nom qui nous paraissent presque familier comme Tristan da Cunha, Clipperton, Christmas, ou même Sainte-Hélène rendue célèbre par un petit homme corse en exil ? Judith Schalansky est née en RDA et pour elle le voyage dans ses jeunes années n’a été que le fruit de son imagination qu’elle laissait vagabonder au bout de son doigt sur les cartes et les atlas. Il faut lire ce qu’en dit Florizel (que j’ai l’impression d’avoir déjà croisé) lorsqu’elle évoque les Fingerreisen, qu’on pourrait traduire (mal) par voyage au bout du doigt. Je viens d’ailleurs de découvrir grâce à elle que le titre en allemand est Atlas der abgelegenen Inseln (Atlas des îles éloignées, et non pas abandonnées).
Me voilà sidéré.

Photo d’en-tête © Axel Hartmann