Serions-nous gentils et méchants tout à la fois?
Serions nous capables de bienveillance, de courtoisie, de rendre service avec le sourire comme d’être un affreux jojo, dézinguant tout ce qui bouge ?
Comme un masque tour à tour blanc ou noir ?
Quelle horreur !
Osons le dire, la gentillesse est parfois bien pesante : quand il faut se taper d’accompagner son vieux monsieur de voisin qui tient mal sur ses quilles faire ses courses au supermarché, quelle barbe !
Alors que la méchanceté, quel soulagement ! On se laisse aller avec une joie indescriptible à jouer les langues de pute et mieux encore, on en fera profiter la terre entière ! On aime se vautrer dans les rumeurs, les calomnies. On prête une oreille attentive à tout le mal qui se dit sur untel et untel même si on s’en défend.
Parfois elle émerge à notre insu. Une telle rentre-t-elle de vacances : " putain t’as l’air crevée !" ou bien, " tu n’aurais pas un peu grossi ? ".
Ainsi il est hors de question de se lever dans le bus pour une vieille dame, elle n’a qu’à le prendre aux heures creuses.
Nous avons nos accès de méchanceté comme une fièvre soudaine et qui nous libère de la frustration, de la jalousie, de la fureur, de la colère, de la rancœur. Elle nous donne la sensation d’être puissant, juste dans l’instant, alors qu’en réalité, il faut bien le dire elle ne traduit que notre part de médiocrité. Et elle est tristement banale.
Mais elle devient art.
Et là nous accédons à un autre niveau, celui des grands. Celle qui nous enchante réellement, qui nous fait rire, hormis celui ou celle qui en fait les frais. Point besoin de longue tirades malveillantes, quelques mots bien sentis suffisent. Le malheureux qui en constitue la cible est " exécuté " et nous sommes pâmés.
Il y a la phrase célèbre de Clémenceau à propos de son ministre George Mandel : " Quand je pète, c’est lui qui pue".
François Mitterrand aurait dit à propos de Jacques Chirac : " il monte les marches du perron de l’Elysée avec ses idées, il redescend avec les miennes"».
Un prof de prépa a accablé un de ses étudiants avec : " vous êtes tellement bête, que vous auriez une femme dans votre lit, vous seriez incapable de la trouver".
Ou bien celle-là destinée à un ado dont le dynamisme était en chute libre : "avant c’était de la vaseline et maintenant ça dégouline ".
Même la charmante Jane Austen n’est pas dénuée d’une plume incisive voire très méchante de temps à autre.
Et ne rêve-t-on pas d’acquérir cette adresse à pratiquer la méchanceté avec distinction ?
Bref, nous l’adorons. Sans elle, que deviendrions-nous ? Nous serions englués dans un monde de compromis, condamnés à ne pas prononcer un mot plus haut que l’autre et à contempler les affres d’une gentillesse tellement ennuyeuse.
Mortel!