C’en est fini du mauvais cinéma français, flou et mal (en)cadré ?

Publié le 05 décembre 2014 par H16

Deux années se sont écoulées depuis la mémorable tempête dans le petit monde du cinéma français, déclenchée par Vincent Maraval qui avait eu l’audace de dire ce que tout le monde savait sans vouloir l’admettre : le cinéma français produit une quantité invraisemblable de merdes soporifiques et distribue pourtant des cachets stratosphériques à des acteurs en récompense d’une prestation rarement à la hauteur. Heureusement, tel le guépard sur sa proie, le Centre National du Cinéma a fondu en moins de 24 heures mois sur l’épineuse question des cachets de stars, et sa réponse n’en manque pas (de cachet).

Basant en partie ses judicieuses propositions sur le rapport René Bonnell, lui même « fraîchement » sorti il y a pas loin d’un an, notre Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a donc pris la résolution d’encadrer les rémunérations des stars de cinéma. Voilà, c’est dit, à partir de maintenant, la carrière de star française répondra à une échelle bien définie. À quand une grille, des indices et un avancement en fonction de l’âge ?

Mais je vais trop vite.

Avant d’aller plus loin, il faut comprendre l’ampleur et la nature du douloureux problème qui se pose au CNC, notamment par le fait que ce Centre distribue une manne fort importante collectée directement lors de la vente des tickets, et une autre venant directement des poches de l’État, c’est-à-dire les vôtres. Comme l’explique assez bien cet article, une partie de cette montagne d’argent (plus de 700 millions d’euros par an) est automatiquement reversée pour les films français, ce qui permet aux blockbusters américains, largement méprisés par l’intelligentsia française, de financer ses navets. En outre, ces versements sont complétés par une avance sur recettes, dont la « sélectivité » d’attribution a laissé pantoise la Cour des Comptes dans un récent rapport tant elle est relative.

Ce système, mis en place dans les années 50, à la fois généreux et favorisant les petites ententes entre amis dans un milieu où, à la fin, tout le monde se connaît, se congratule et se renvoie l’ascenseur, a fini par aboutir à ce qu’on connaît à présent où des films médiocres obtiennent des financements abondants qui permettent de rémunérer royalement (mieux, même, qu’Hollywood pour ses stars) des vedettes françaises à la notoriété et au talent ouverts à débat, pendant que le reste de l’équipe de réalisation — les petites mains, surtout — se contente souvent de miettes. Et la thèse de Maraval est que les films français sont très majoritairement non rentables (ce qui est vrai – en 2010, seuls trois films avaient sorti leur épingle du jeu, et en 2013, les chiffres ne sont guère meilleurs) précisément à cause de ces émoluments obèses de quelques stars françaises. Tout se déroule comme si le CNC n’était plus qu’une grosse usine à gaz destinée à enrichir quelques nababs bien connus.

C’est donc pour tenter de corriger ce travers que le CNC modifie sa politique d’arrosage : si la rémunération proposée à une star dépasse un certain pourcentage du devis du film ou, comme le dit pudiquement le Centre, si le film atteint un « coût artistique disproportionné », le producteur ne pourra pas avoir accès ni à son compte de soutien automatique, ni aux aides sélectives. Autrement dit, pour des rémunérations jugées trop importantes (lisez : trop outrageusement élevées pour que le contribuable, qui finance, gobe sans broncher), le producteur devra aller chercher ses financements ailleurs qu’au CNC. La grille proposée est croquignolette :

  • Pour un film au devis inférieur à 4 millions d’euros, la rémunération maximale ne pourra excéder 15 % du coût de production,
  • entre 4 et 7 millions d’euros : 8 % du coût de production,
  • entre 7 et 10 millions d’euros : 5 % du coût de production,
  • et pour un devis supérieur à 10 millions, la rémunération maximale sera de 990.000 euros.

Ah ah, c’en est fini de l’inflation des cachets ! Terminé la distribution de pognon gratuit ! En période de Disette Pour Tous, voilà qui sonne presque comme une revanche et le début d’une victoire, celle du Socialisme Triomphant qui parvient, malgré l’adversité, à répandre l’égalitarisme et les grilles finement ouvragées même dans les lieux de paillettes et de strass !

Bon, je le reconnais : il n’y a pas vraiment de quoi pleurer sur le sort des vedettes qui continueront, on en est sûr, de toucher une copieuse indemnisation de leur temps de présence sur les plateaux. Mais il est particulièrement piquant de lire, ici ou là, que le CNC introduirait ainsi quelques règles élémentaires qui permettront enfin d’encadrer et réguler ce cinéma français qui faisait n’importe quoi.

D’une part, on ne pourra s’empêcher de penser que cette « grille », bricolage technocratique assez navrant de naïveté, risque d’introduire une myriade d’effets indésirables, à commencer par les effets de seuils. Il va y avoir bousculade de films avec des budgets étrangement proches des bornes puisque, par exemple, pour un film de 6.999.900 euros de budget, la vedette peut repartir avec un cachet de 559.992€, alors que pour un budget de 100€ de plus, le pauvret ne touchera que 350.000€, soit un peu plus de la moitié. L’imagination humaine étant sans limites, les bornes introduites ici avec un arbitraire assez stupéfiant vont assez sûrement se retourner contre le CNC. Même si l’on peut regretter qu’encore une fois, le contribuable sera le dindon de cette farce grotesque, on pourra se consoler en se disant que les gratte-papiers, qui ont pondu cette « solution » aussi médiocre que la production cinématographique française actuelle, seront montrés pour les clowns qu’ils sont vraiment.

D’autre part, on voit mal ce que ces bonnes résolutions pourront résoudre au problème de fond sachant qu’il a été assez mal analysé. La proposition, pleine de bons sentiments mais détachée de toute envie réelle de réforme d’un système essentiellement basé sur l’argent public, revient à ne résoudre que la partie gênante de la gangrène qui s’est répandue dans le système, en posant un petit sparadrap Hello Kitty dessus. Le problème n’est pas la hauteur du cachet des stars, mais qu’il se fasse au détriment du reste de l’équipe, et qu’il soit essentiellement le fruit de l’argent public, c’est-à-dire de personnes qui n’ont pas eu l’occasion de choisir ce pour quoi elles paient. Et tout le nœud du problème provient de là : le public, lorsqu’il est consulté par la voie la plus efficace, c’est-à-dire le marché (ici, les places au cinéma), adoube largement un certain type de cinéma, qui n’est d’ailleurs que rarement celui massivement subventionné.

Et c’est parce qu’il y a totale déconnexion entre ceux qui financent et ceux qui payent que le cinéma français dilapide outrageusement ses moyens sur des productions dont l’unique intérêt est de faire s’écrier au génie quelques pénibles critiques et autres bobos du milieu, et de servir de puissant somnifère pour la faible population qui se cognera le résultat, vers 23:30 un soir de semaine sur Arte dans le meilleur des cas. Le tout sera comme d’habitude camouflé derrière le paravent pudique de l’« exception culturelle française » qui permettra de faire passer n’importe quelle daube consternante en « production artistique », barbouillée d’un petit « Et l’emploi des intermittents, vous y pensez ? » qui achèvera de fermer le clapet à toute demande d’un peu de sérieux dans les subventions.

Le bilan est connu : je remarquais il y a presque deux ans, à la suite de l’intervention de Maraval, que la culture française en général et son cinéma en particulier vivent à présent dans une bulle. On a soit des grosses productions consternantes de médiocrité (avec une ou deux exceptions par an, ratio ridicule lié au hasard), soit des micro-productions chiantes comme la pluie à Dunkerque un mardi midi de février, et plus rien au milieu. Or, la solution proposée par le CNC ne s’attaque qu’à l’effet le plus visible, les cachets pharaoniques, et absolument pas à la cause. La solution efficace, qui consiste à retourner au plus vite aux fondamentaux du marché, celui qui existait dans le cinéma dans les années 50 et avant lorsque la production française était alors renommée par sa qualité, n’entre même pas dans les considérations du Centre, gentiment perdu dans ses petits tableaux comiques.

Partant de là, la situation, déjà franchement pas brillante, ne s’améliorera même pas marginalement.

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