L’éthologie comme course de fond.
Ce livre se présente comme la matrice des performances d’un artiste qui interroge les expressions et les postures animalières en métaphorisant les systèmes comportementaux de l’homme, dans un processus d’hybridation qui montre la part obscure d’animalité en l’homme. Hybridation de cet artiste argentin : au fond, qui est Font ? Le nom de l’artiste ? Le verbe faire au pluriel ou l’expression qui consiste à dire j’ai touché le fond ? Incertitude du nom, métissage du patronyme et du verbe …
J’ai toujours aimé les chiens de William Wegman et je regrette la rareté de la présence animale dans l’art, la littérature, la réflexion philosophique. Ce livre comble un manque, un territoire passionnant, celui de l’interstice, de l’hybridation qui n’est pas réservé à la science expérimentale ou aux nouvelles technologies, mais peut devenir un artisanat de l’imaginaire, une expérience jubilatoire. Manuel ludique, propositions imaginaires transformistes, atelier d’écriture corporel, incitations scéniques ? On ne sait de quelle nature ce livre est le nom, comme on ignore si ces textes sont le prélude ou le prétexte à des happenings qui ont eu lieu, s’ils sont demeurés à l’état de projet, de vigilance. Rébus, emboîtements de propositions successives dont on ne sait s’ils relèvent de la fiction ou du réel. Mariage réussi de la science et du poème dans la tradition post surréaliste. Je pense à la quatrième dimension de Duchamp qui explora les limites de la perception au-delà des repères constitués. On comprend que c’est la relation entre les phénomènes qui compte, la combinatoire, le court-circuit. Les textes fonctionnent comme des commentaires de situations loufoques, les illustrations évoquant les images décalées de Topor.
La Cinèse, par exemple, correspond à la posture du joggeur qui porte à l’épaule gauche une tête de cheval pour accélérer sa course, mais dont l’inconfort provoque des obstacles (tamponner le joggeur d’en face, par exemple). Empreinte aberrante montre la difficulté d’une maman ourse à enfiler la culotte de Boucle d’or… Plus sérieusement, ces vignettes d’humour posent la question de l’occupation de nos corps dans l’espace, corps animal ou humain, elles indiquent, sous le masque du rire, que nous sommes tous encombrés par nos anatomies. Suis-je adapté au milieu ambiant qui m’a fait naître et dans lequel j’évolue ? Sommes-nous un ensemble de réflexes mal réglés, une circonvolution de pensées bizarres, de désirs extrêmes ? Autant de questions auxquelles nous ne sommes pas obligés de répondre, mais je les pose avec légèreté, l’insouciance n’excluant pas la prise de conscience.
[Véronique Pittolo]
Laurence de la Fuente (textes) et Bruno Lahontâa (images), Performances éthologiques de Font, Ed de l’Attente, 2014, 19€