Apprendre la disparition de quelqu’un dont on a d’intimité commune que l’art qu’il prodiguait est une expérience étrange. Car s’il n’y a pas d’implications factuelles, des liens chatouillant les tréfonds de notre sensibilité sont invariablement mis en branle, provocant une sorte de désolation tragique loin d’être passagère. Un truc qui plombe le jour qui se lève à peine quand bien même, pas un mot, pas un geste ne nous a rapproché du disparu. Nick Talbot, instigateur de Gravenhurst devant l’éternel, s’en est allé hier, jeudi 4 décembre 2014, à trente-sept ans, vaincu par la maladie. Jamais depuis le passage à trépas de Mark Linkous, cerveau malade de Sparkelhorse (lire), je n’ai autant été peiné par le déces d’un artiste. Peut être parce que le bonhomme hantait depuis des lustres la tourbe d’une passable mélancolie noctambule, peut-être aussi parce que sa voix au timbre si cristallin comptait parmi les plus belles d’une pop contemporaine aujourd’hui orpheline. Avant toute chose, avant même la mise en exergue d’une discographie presque parfaite égrainée trop rarement une dizaine d’année durant via Warp Records – avec les indépassables et consécutifs Flashlight Seasons (2003) et Fires in Distant Buildings (2005) – ce qui attriste, c’est le départ brutal, sans ménagement, d’une personne iconoclaste, qui ne rentrait pas dans les cases d’un circuit trop souvent accablant et qui exprimait de ce fait, par la beauté gracile de ses compositions, un mal-être à fleur de peau, bien loin de la cosmétique, de la superficialité et de l’instantanéité dont on nous gave inlassablement. Pour s’en convaincre, il n’est pas inutile de relire l’entretien que l’on avait publié avec Nick il y a de ça quatre ans, au cours duquel celui-ci indiquait prendre exemple sur ces groupes laissant le temps au temps “Les artistes qui sont un exemple pour moi sont ceux qui font ce qu’ils ont envie de faire sans se soucier du temps que ça leur prend. Mes potes du label, Broadcast, passent autant de temps que nécessaire sur leurs enregistrements. Ils ne ressentent pas la nécessité de se conformer à la notion de l’industrie selon laquelle un album doit sortir chaque année. Scott Walker est content de laisser passer plus d’une décennie entre chaque album. Mais en même temps, il est certainement bien plus riche que moi !” (lire). Il n’est pas inutile non plus de s’éprendre du mini-documentaire réalisé par Warp Records, à visionner ci-après, et imageant la réédition imminente des albums Flashlight Seasons et Black Holes In The Sand à l’occasion de laquelle notre homme reformait en version live Gravenhurst avec Claire Adams et Rachel Lancaster – avec une date prévue en janvier à Strasbourg. Une réédition marquant d’une pierre blanche dix ans de songwriting inspiré et qui malheureusement n’aura pas donné de suite à l’ultime The Ghost in Daylight paru en 2012 – au sujet duquel les mots de notre chroniqueur transpiraient d’une ineffable compassion pour la fragilité d’un artiste capable malgré tout de se remettre en question (lire) – si ce n’est un album d’inédits Offerings: Lost Songs 2000 – 2004 à paraitre très bientôt en décembre, à titre malheureusement posthume. Au revoir l’ami.