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Les balbutiements de Sophie, par Sophie Torris…

Publié le 04 décembre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Mon chum de Chat,

chat qui louche maykan alain gagnon francophonie
Cré-moé, cré-moé pas, j’sais pas pantoute kossé que j’vas ben pouvoir t’patenter astheure, mais j’suis crinquée pareille. Trois ans que j’swingue la bacaisse dans l’fond de ta boite à bois sans jamais branler dans l’manche ! On dirait ben que ta grande jaune commence à avoir du millage, le Chat ! C’est pas crayable ! Moé qui suis une vraie Marie Quatre Poches, moé qu’on a ben de la misère à tenir à hue, faux-tu que j’aye perdu la bolle pour m’astiner de même à t’écrire à l’année longue ?

Faque, pense pas que c’est un adon si j’brette icitte depuis une bonne escousse, si j’continue à varnousser au boutte, à m’épivarder dans ta talle. On s’contera pas de menteries. C’est juste pour en avoir, un jour, les bleus.

Albert Camus, qu’était pas un Jos Bleau, a dit que « la pensée de l’homme résidait avant tout dans sa nostalgie ». Ça prend pas la tête à Papineau pour comprendre que si on veut s’extentionner comme y faut la caboche, ben…faut savoir choisir des regrets qu’ont de l’allure. Pis, j’ai pour mon dire qu’à force de t’balbutier des finasseries, m’a ben finir par jaser comme un grand livre, sacrifice !

Faque, quand j’l’aurai l’affaire, j’prendrai le temps d’faire ma fraîche, j’me ferai aller l’mange-patate en m’garrochant sur tous les mots qui fitent juste et qui manquent pas de jarnigouennne. Pis quand j’aurai l’nombril ben sec, c’est ben d’valeur, mais c’est là, l’gargotton ben serré, que j’te quitterai, mon chum de Chat. Parce que tu mérites ben que j’te regrette comme du monde !

En plus, la nostalgie est une p’tite vlimeuse. Elle s’arrange souvent avec le gars des vues pour peinturer en rose le noir et blanc, et étendre ses regrets sur un monde rêvé, ben plus plaisant que celui de l’autre tantôt. Elle te fait des accraires comme pour que tu soyes aux p’tits oiseaux. Elle t’enfirouape drette de même.

À cause y’a pas personne qui veut s’en rendre compte ?

Torvisse ! Faut dire que l’époque s’est tellement chagrinée ces derniers temps qu’y’est ben plus facile de rêver d’hier que de demain. Les souvenirs ont un parfum de perte qui monte vite à la tête quand l’quotidien est blême comme une vesse de carême.

En période de doute, quand l’progrès s’prend une débarque, quand l’avenir frappe un nœud, quand on croit pu pantoute aux lendemains qui turluttent, on s’gosse les annales pour s’raccrocher à des moments heureux. Pis, s’il lui manque un bardeau à not’mémoire, ben on s’l’invente coudonc ! Parce qu’il fait bon croire qu’hier, au moins, on était mieux abrillé, même si ça peut-être dangereux que la vie trouve pu qu’son bon sens dans l’passé.

Ça, les vendeurs de bébelles, de patentes, de cossins, de gogosses l’ont ben compris, pis ça jouse en sibolac sur c’te corde sensible là. On s’graye vintage d’la tuque à la gougoune et au volant d’chars relookés à la mode d’hier, on capote en écoutant les tounes de quand on était ti-coune.

C’est même rendu qu’nos flos sont nostalgiques d’une époque qu’ont pas connu. Ça, c’est fort en Saint-S’il-Vous Plaît par exemple ! J’te conte pas de folleries, le Chat ! J’en ai vu qui partent sur la fripe d’un passé qu’est pas le leur sur du Led Zeppelin. Ils se mettent à regretter un monde qu’ils imaginent plus vrai, où y’en avait pour les fous pis les fins, où l’on pensait qu’à courir la galipotte, où on perdait sa cerise sans que le maigre des fesses nous tremble de peur d’en pogner une maudite. On voit ben sur leur face qu’elle leur manque, c’te jeunesse-là.

C’est ben vrai, Chat, qu’on peut s’enfarger dans des souvenirs qu’on a pas vécus. J’suis pas du monde d’icitte, juste une créature arrivée avec son étrange y’a déjà un boutte. J’ai une maison mais pas de racines. Mon père y’était pas coureur des bois, ma mère s’est pas trop magané la bedaine. On n’était pas une trâlée d’enfants chez nous autres. Mais voilà, ma pensée pacage dans la nostalgie de ce pays-là, de c’te parlure-là qu’est pas la mienne. Pis ça a d’l’air que j’me souviens, pis qu’ça m’fait du bien.

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À part de d’ça, ça fait vingt ans que j’me crée des moments mémorables icitte. Pense pas qu’j’vas m’assire su mon steak ! J’veux pas faire mon p’tit Jean Levesque, mais j’compte ben écrire l’reste de l’histoire avec vous autres. Pis, j’te gage, le Chat, que si on s’y met toute, l’austérité va ben finir par manger sa claque. Alors, y pourra s’virer tout un pawow qui, des années plus tard, nous rendra ben nostalgiques.

Envoye, déguedine !

Ta Maudite

  Notice biographique

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Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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