Une longue interview pour la revue « Vents contraires » du Théâtre du Rond Point
1• Des enfants fabriqués en laboratoire
De plus en plus, la société prend conscience que l’enfant n’appartient plus aux ancêtres ; il a de nouveaux propriétaires. Il semble évident qu’à terme, les enfants ne seront plus fabriqués dans la famille mais dans des laboratoires. A la suite d’Henri Atlan et de son livre l’Utérus artificiel, on sait qu’on parviendra d’ici une dizaine d’années à faire pousser un embryon en éprouvette et le conduire jusqu’au bout, ce qui arrangera les femmes qui souhaitent se consacrer à leur vie, leur carrière. Dès lors, la famille ne servira plus à rien et ne deviendra qu’un lieu de socialisation agréable… ou pas.
2• La famille, quelle famille ? Celle d’ici, celle d’ailleurs, celle de partout ?
Nous avons posé la question à l’ethnopsychiatre Tobie Nathan. Ceux d’entre vous qui ont vu le film Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines), d’Arnaud Desplechin, auront une idée concrète de cette pratique thérapeutique initiée par Georges Devereux : ne pas se croire universel, entrer en contact avec l’esprit du patient par la langue, les rituels et les mythes dont il est issu.
Tobie Nathan aime voyager dans l’intimité profonde des âmes et des civilisations. Lui qui se dit être né trois fois – en Égypte, puis en Italie, puis en France – nous raconte les multiples manières humaines de n’être pas un isolé – et le fil qui relie toutes les familles du monde, de l’aube des temps jusqu’aux méthodes de procréation assistée contemporaines : l’appartenance symbolique à une lignée. Mais qu’en sera-t-il quand la science n’aura plus besoin de nos corps pour faire naître des enfants ?
3• La famille est le lieu du mythe
Que l’on en soit conscient ou non, nous sommes tous imprégnés par un mythe : les être humains sont stériles et pour qu’il y ait fécondation, il faut s’allier avec des êtres supérieurs : esprits, génies de la brousse, djinns… C’est ce même mythe que l’on retrouve dans la rencontre entre Abraham, Sarah et Dieu et dans le rituel de Shabbat.
4• La seule justification des familles est de fabriquer des enfants
A qui appartiennent les enfants ? Toutes les cultures, même la nôtre, répondent : à notre lignée. Le sexe n’y suffit pas, il faut en passer par un mythe de fondation, qui renvoie au tout premier de la famille. Cela a toujours été et sera toujours ainsi… jusqu’au moment où les enfants seront fabriqués dans des laboratoires. Dans 60 ans selon Tobie Nathan. Et alors la raison d’être des familles aura disparu.