Le Prix Rossel 2014 a été décerné ce jeudi 4 décembre. Il a couronné le premier roman d'Hedwige Jeanmart, "Blanès" (Gallimard, 262 pages). La lauréate, née à Namur en 1968 mais résidant à Barcelone depuis sept ans après dix-sept années de missions humanitaires en Russie, en Sibérie et dans le Caucase pour MSF, l'a emporté au sixième tour de scrutin par six voix contre trois à Jean-Pierre Orban, aussi auteur d'un premier roman, "Vera" (Mercure de France), présenté ici, déjà récompensé par le Prix du Premier roman.
Le jury 2014, présidé par Pierre Mertens (Prix Rossel 1970 pour "L'Inde ou l'Amérique"), réunissait les lauréats antérieurs du prix Thomas Gunzig (2001, "Mort d'un parfait bilingue"), Michel Lambert (1988, "Une vie d'oiseau"), Ariane Le Fort (2003, "Beau-fils"), Isabelle Spaak (2004, "Ça ne se fait pas"), Jean-Luc Outers (1992, "Corps de métier"), le journaliste Jean-Claude Vantroyen, et deux libraires, Françoise Rihoux et Christelle Warnauts, déléguées cette année.
Hedwige Jeanmart. (c) C. Hélie/Gall.
"Blanès", c'est un beau premier roman qui a aussi une belle histoire. L'auteure l'avait envoyé par la poste à Gallimard, sans vraiment y croire. Elle avait déjà fait parvenir des textes pour enfants à l'éditeur qui les avait refusés mais en motivant sa décision. Hedwige Jeanmart pensait que le courrier négatif se répèterait. Mais non. Son manuscrit a séduit un premier lecteur et a ensuite été sélectionné par le comité de lecture. Comme quoi, les envois par la poste ne sont pas une légende. Le voilà aujourd'hui Prix Rossel, une distinction qui a souvent débusqué des jeunes auteurs prometteurs.Le titre est celui d'une localité de la Costa Brava, en Espagne. Pas très loin de Barcelone où habitent Eva, la narratrice, et Samuel, l'amour de sa vie, qui s'y rendent en excursion un dimanche. Blanès, c'est aussi le lieu où s'est réfugié, jusqu'à sa mort, l'écrivain chilien Roberto Bolaño, qui avait fui la dictature de Pinochet. Coïncidence car Samuel qui est écrivain et voue une immense admiration au romancier célébré à Blanès disparaît au terme de l'excursion. Est-il parti? Est-il mort? C'est la question qui va occuper Eva tout au long de ce roman original dont le ton se distingue déjà parmi les autres parutions récentes. Des phrases souvent longues, mais sans lourdeurs, une alternance entre présent et passé, la permanence de l'écrivain chilien, un rapport intéressant entre rêve et réalité...
Dévastée par le chagrin, Eva retourne à Blanès pour tenter de trouver des réponses à ses questions. Si elle se montre piètre enquêtrice, elle fait une série de rencontres qui enchantent le lecteur. "Blanès" est un premier roman à découvrir.
En voici les premières lignes.
"Et si on allait à Blanès? C'était mon idée. Je l'avais lancée le samedi 10 mars vers onze heures du matin, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et aussi du fait que je le disais pour lui faire plaisir, sans soupçonner une seconde que cette phrase innocente serait celle qui me ferait chuter tout au fond du gouffre où je suis. Pourtant des phrases, j'en ai dit. J'ai trop dit je t'aime alors que je savais que cela le fatiguait, j'ai dit des choses intelligentes aussi, puis des conneries comme tout le monde. Mais je n'aurai pas survécu à cette phrase-là. Samuel a répondu pourquoi pas? Ça te dirait? J'ai dit oui ça me dirait, on n'est jamais allés à Blanès, ce n'est pas si loin, une heure en voiture depuis Barcelone, à peine plus. On s'est mis d'accord, on irait le lendemain. Le soir, on s'est couchés en chien de fusil dans des draps blancs comme un linceul, j'ai respiré son odeur du soir, un peu âcre, et senti la chaleur de sa cuisse sur laquelle j'avais posé la main. Je me suis endormie heureuse sûrement, sans doute, pourquoi pas? Je ne savais plus bien à présent, et le matin du dimanche 11 mars, en fin de matinée, nous avons pris chacun un livre et nous sommes partis pour Blanès."
Et les vingt premières pages de "Blanès" est à lire ici.
La saison 2014 des prix littéraires s'achèvera le 11 décembre par la remise du Prix France Télévisions du roman.