Sa performance dans Werther de Massenet à l’opéra de Paris fait la une des journaux, son dernier album collectionne les récompenses, les plus grands théâtres se l’arrachent… Jonas Kaufman est à n’en pas douter la nouvelle gloire de la scène lyrique mondiale : en quelques années, ce jeune ténor qui avait débuté dans les plus petits rôles a réussi à se faire une place dans une catégorie de voix qui est pourtant sans doute la mieux pourvue du moment. Faute de pouvoir assister au Werther qu’il chante à Bastille dans une production de Benoît Jacquot – dont les tarifs prohibitifs m’ont dissuadé –, quelques mots de son dernier disque publié par Decca consacré à l’opéra allemand.
Jonas Kaufmann peut tout chanter, au point d’en brûler, parfois, les étapes nécessaires à une carrière artistiquement cohérente. Entendons-nous : je ne cherche pas en disant cela à jouer les Cassandre qui prédisent à tout ténor qui s’attaque à Wagner avant soixante ans qu’il s’y brûlera les ailes et la voix. En revanche, comme tous les surdoués qui peuvent tout faire, il est confronté à la nécessité de faire des choix : avoir tous les talents ne suffit pas à pouvoir tous les faire fructifier. Nul doute que Jonas Kaufmann ait le potentiel de chanter aussi bien Massenet, Verdi, Wagner et Mozart. Au premier, il peut apporter l’extraordinaire subtilité du messa di voce, un type de projection dont il est devenu le spécialiste incontesté au milieu de ténors qui privilégient davantage l’éclat des fortissimi, au second, un phrasé, un velouté et un timbre moins chaleureux que nombre de ses concurrents, mais tellement élégant.
Une voix plutôt sombre, mais relativement souple comme celle de Jonas Kaufmann lui permet naturellement de briller dans les rôles de ténor dramatique comme celui de Don Carlo de Verdi ou de Don José du Carmen de Bizet (lire pourtant mes réserves sur ce point dans son interprétation à la Scala). Ses capacités vocales hors normes lui permettent sans nul doute d’élargir son répertoire du côté des rôles plus lyriques voire légers (comme le Tamino de la Flûte enchantée de Mozart), ou du côté des ténors héroïque wagnérien. Les premiers exigent un effort de nuance et de coloration quand les seconds demandent une voix très solide, souvent plus sombre et plus puissante.
Mais, et c’est là la principale faiblesse de ce récital, évoluer à la fois dans ces deux directions quasi-contradictoire, est une gageure presque insurmontable. Nul doute que Jonas Kaufmann ait le potentiel de chanter tous les rôles de Mozart à Wagner – Plácido Domingo l’a fait, et bien plus encore ; mais cela n’est possible qu’au prix d’une carrière réfléchie, conçue dans une évolution lente de la voix avec l’âge. S’attaquer en même temps à tous ces rôles est le meilleur moyen de passer à côté de certains. En l’occurrence, les plus grandes réussites ne sont pas des découvertes : Florestan du Fidelio de Beethoven est un succès déjà éprouvé la saison dernière à l’opéra de Paris. Les airs les moins lourds de Wagner, à commencer par l’air du Cygne de Lohengrin, passent également très bien : certes, on est habitué à les entendre chantés par des voix plus ténébreuses, mais Jonas Kaufmann en fait un moment nuancé où l’on sent l’influence que le chant italien a eu sur lui.
Deux points pour finir : on ne manquera pas d’apprécier le choix des producteurs de proposer des extraits longs, qui n’excluent ni les pages orchestrales, ni les récitatifs, ni quelques duos, qui permettent de restituer l’univers d’une œuvre un peu au-delà des extraits bien connus. On se délectera également de quelques extraits d’œuvres plus rares dans les récitals de Schubert que sont Fierrabras et Alfunso und Estrella. Dommage que tout cela s’inscrive dans un programme qui privilégie l’unité nationale au détriment de la cohérence musicale.
Jonas Kaufmann, récital chez Decca, Mahler Chamber Orchestra, sous la direction de Claudio Abbado. Jonas Kaufmann est également à l’Opéra Bastille dans le Werther de Jules Massenet jusqu’au 4 février 2010.