Un pêcheur allait à la mer prendre des poissons ; le soir venu il les vendait, achetait un petit pain, qu'il mangeait pour son souper.
Un jour il trouva une caisse ; il la porta à sa cabane et l'ouvrit. Un singe en sortit et lui dit ! O malheureux pêcheur, pleure ton triste sort...
- Mon sort, répondit-il, est bien supportable.
Le lendemain il retourna à la pêche. Le singe monta sur le toit de sa cabane et s'assit ; puis il coupa toutes les roses du jardin de son maître.
La fille du roi vint à passer et lui dit :
- O Sidi Moh'ammed, que fais-tu là ? Viens ici, j'ai besoin de toi.
L'animal prit une rose. La princesse lui redemanda :
- Chez qui demeures-tu ?
- Chez le fils du sultan de l'Inde, répondit-il.
- Dis-lui de m'acheter, reprit celle-ci.
- Je le lui dirai, repartit le singe, pourvu qu'il y consente.
Le lendemain il se déchira la figure et se plaça sur la maison. La princesse passa et l'appela de nouveau.
Le singe lui porta une rose.
- Qui t'a déchiré ainsi, s'écria-t-elle ?
- C'est le fils du sultan de l'Inde ; quand je lui ai dit de vous acheter, il m'a donné un soufflet.
Elle donna cent écus à Sidi Moh'ammed et continua sa promenade.
Le lendemain le singe s'égratigna de plus belle, il monta sur le toit de la cabane ; bientôt la princesse parut et l'appela.
- O Sidi Moh'ammed.
- Eh bien, me voici.
- Approche, comment lui as-tu dit ?
- Je lui ai répété vos propres paroles, et il m'a donné un nouveau soufflet.
- Demain, ajouta la princesse, venez me trouver tous les deux.
Le lendemain le singe mena le pêcheur dans un magasin d'étoffes, il lui acheta des habits ; de là il le conduisit au bain.
En se dirigeant vers le palais, Sidi Moh'ammed tenait le bas du chemin, et criait aux passants :
- Fuyez, fuyez, voici le fils du sultan de l'Inde.
Ils passèrent devant un cafetier, Sidi Moh'ammed commanda deux cafés ; ils les burent, donnèrent un écu au cafetier et ils sortirent.
Avant d'entrer chez le roi, le singe dit au pêcheur :
- Juif de pêcheur, nous voici chez ton beau-père, il nous servira à manger, mange peu ; il nous offrira du café, n'en bois que quelques gorgées ; tu trouveras des tapis de soie étendus à terre, garde tes sandales.
Arrivés à la porte de la salle de réception, le pêcheur quitta ses sandales ; le roi leur servit à manger, le pêcheur mangea beaucoup ; on leur offrit du café, le pêcheur but tout.
Quand ils furent dehors Sidi Moh'ammed lui dit :
- Juif de pêcheur, sois heureux que pour cette fois je ne mette ta figure en sang.
Le lendemain la princesse appela Sidi Moh'ammed.
- Certes lui dit-elle, tu m'as menti. Pourquoi m'as-tu assuré que le fils du sultan de l'Inde était un homme bien élevé.
Le singe lui répondit :
- L'avez-vous trouvé bien inconvenant ?
- Comment, reprit celle-ci, nous avions étendu des tapis de soie pour le recevoir, il a quitté ses sandales, nous lui avons donné à manger, il a mangé comme un domestique, nous lui avons servi du café, il s'est léché les doigts.
Le singe répliqua :
- Avant d'arriver au palais, il avait bu du vin et du café, il n'était pas maître de sa raison, voilà pourquoi il a mangé beaucoup.
- S'il en est ainsi, dit-elle, revenez demain, si Dieu le veut, mais ne le mène pas au café.
Le jour suivant, le singe dit au pêcheur :
- Juif de pêcheur, si aujourd'hui tu quittes tes sandales, si tu manges beaucoup, si tu bois tout le café, prends garde à toi, car je t'arracherai les yeux.
Ils partirent et entrèrent au palais. Le pêcheur marcha sur les tapis de soie sans déposer ses sandales, on lui servit à manger, il mangea peu ; on lui servit du café, il n'en but que quelques gorgées. Le roi lui donna sa fille. Sidi Moh'ammed dit au roi :
- O roi, le fils du sultan de l'Inde est en désaccord avec son père, il n'a apporté qu'une caisse d'argent.
Un soir, durant leur promenade, le pêcheur dit à Sidi Moh'ammed :
- Quand me montreras-tu le fils du sultan de l'Inde ?
- C'est facile, répondit le singe ; attends jusqu'à demain.
Le lendemain il lui dit :
- Dans un moment je t'aborderai, tu seras assis, je m'approcherai de toi un papier à la main, je te le donnerai en pleurant ; après l'avoir lu, tu pleureras aussi. Ton beau-père t'en demandera la raison. Réponds-lui : mon père est mort, voici la lettre que je viens de recevoir. Si tu as l'intention de me donner ta fille, je l'emmènerai avec moi pour rendre à mon père les derniers devoirs.
Le pêcheur suivit le conseil du singe.
Le roi lui dit !
- Prends ma fille.
Il lui donna aussi une escotre nombreuse de cavaliers. La caravane se mit en route.
A un certain endroit, Sidi Moh'ammed dit aux soldats :
- Notre pays est très loin, vous pouvez retourner auprès du roi.
Chacun partit de son côté. Bientôt Sidi Moh'ammed dit au pêcheur :
- Reste ici pendant que je vais faire une reconnaissance au pays de ton père.
Il partit et arriva aux portes d'une ville ; les ayant trouvées fermées, il monta sur les remparts.
Une ogresse l'aperçut et lui cria :
- Je te salue Sidi Moh'ammed.
- Que Dieu te maudisse , je viens te voir.
- Que me veux-tu ?
- On veut te tuer.
- Où faut-il me cacher ?
Le singe la mena dans la poudrière de la ville, ferma la porte sur elle, mit le feu aux poudres et l'ogresse mourut.
Il revint vers le pêcheur et lui dit :
- L'ogrese a dévoré le pays de ton père.
Ils allèrent à leur cabane. Un jour, Sidi Moh'ammed tomba malade. Le pêcheur en rentrant chez lui, le trouva dans les bras de sa femme.
- Jette-le, s'écria-t-il, il sent mauvais.
Sidi Moh'ammed sauta à terre et lui dit :
- Hors d'ici, juif de pêcheur.
La femme ne le prit plus entre ses bras.
Un jour le singe lui dit :
- Tu me parais triste. Serait-ce parce que j'ai appelé ton mari juif de pêcheur ? Avant ton arrivée ici, la pêche était son métier.
Le pêcheur l'entendit et répliqua :
- C'est quand j'étais petit que je m'amusais à pêcher avec mon père.
Sidi Moh'ammed tomba malade de nouveau ; il mourut ; on le mit dans une caisse très richement parée. Quand il sentit mauvais, le pêcheur jeta le cadavre dans la mer.
J. RIVIERE
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