Duchamp peintre ?
L’exposition du Centre Pompidou nous propose un cheminement à travers les relations de Marcel Duchamp à la peinture.
Ce parcours au sein d’une part méconnue de l’œuvre de l’artiste nous renvoie à notre propre méconnaissance de Duchamp. Marcel Duchamp c’est l’urinoir, c’est R. Mutt, c’est L.H.O.O.Q! Un artiste un peu potache qui serait une des références un peu facile, un peu usée, de l’art contemporain. Un provocateur qui a questionné la place de l’art dans la société et remis en cause le concept même d’art, réflexions encore très présentes dans l’art contemporain, certes.
MARCEL DUCHAMP L.H.O.O.Q 1919, readymade rectifié Collection particulière © succession Marcel Duchamp / ADAGP, Paris 2014
Cet aspect provocant est présent dans l’exposition mais mis en perspective avec ses expérimentations picturales et son rapport à la peinture. Ses toiles, de 1910 aux années 1920, sont présentées à côté de ses œuvres ultérieures. Une des preuves que Duchamp n’était pas un ennemi de la peinture est sa Boîte-en-Valise qui contient des répliques de toutes ses peintures, comme un musée portatif. Autre signe, présenté dans la première salle de l'exposition, Duchamp grave ses Morceaux choisis d'après des nus d'Ingres et de Courbet, un an avant sa mort. Non seulement il n'a pas cessé de s'intéresser à la peinture, mais il n'a pas non plus arrêter de regarder vers ses prédécesseurs.
MARCEL DUCHAMP La Boîte-en-valise, 1935-1941/1958 Série C. Boite dépliante en trois parties (photographies et documents, fac-similés) Carton, bois, papier, plastique Achat, 1964 Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris
Le choix du Centre Pompidou et de la commissaire Cécile Debray est donc de rentrer dans l’œuvre de Duchamp par une porte secondaire, presque dérobée. Observer Duchamp peintre c’est observer son cheminement, ses influences, ses rejets. Lorsqu’on interroge Duchamp sur sa période fauve et l’influence que Cézanne a pu avoir sur son œuvre, celui dit préférer Odilon Redon et s’intéresser à l’aspect érotique de cette peinture colorée. Lorsqu’il rejoint les cubistes, il sera désapprouvé en inscrivant ironiquement le titre de son œuvre, Nu descendant un escalier, sur sa toile.
MARCEL DUCHAMP Le Printemps ou Jeune homme et jeune fille dans le printemps 1911, huile sur toile, 65.70 x 50.20 cm The Vera and Arturo Scharz Collection of Dada and Surrealist Art in the Israel Museum Collection, Jérusalem © succession Marcel Duchamp / ADAGP, Paris 2014
MARCEL DUCHAMP Deux nus, 1910 Huile sur toile Achat, 1975 Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris
MARCEL DUCHAMP Nu descendant l’escalier n°2, 1912, huile sur toile, 146 x 89 cm Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 © 2014 Photo The Philadelphia Museum of Art / ArtResource / Scala, Florence © succession Marcel Duchamp / ADAGP, Paris 2014
Reformulation de la peinture
Marcel Duchamp ne serait alors pas celui qui a tué la peinture mais celui qui l’a reformulée, en adéquation avec un monde qui se transforme. Sa peinture n’est plus purement picturale mais utilise des sources plus hétéroclites comme la radiographie, l’optique, la mécanique, les découvertes médicales ou technologiques ou encore le cinéma… Après tout, une peinture est une « représentation, suggestion du monde visible ou imaginaire sur une surface plane au moyen de couleurs » (dictionnaire Le Petit Robert).
L’aspect poétique de l’emploi de certains matériaux est aussi mis en valeur : poussière, air, minium (pigment utilisé contre la corrosion des métaux)…
Man Ray, Élevage de poussière, 1920/vers 1968 Tirage original sur papier aux sels d’argent Galerie Françoise Paviot, Paris
Importance de l’écrit
La plupart des œuvres de comparaison sont soigneusement choisies, et accompagnées de citations de Duchamp. Ce dernier a beaucoup commenté son œuvre et accorde une grande importance à l’écrit qui devient matériau de sa peinture. Lors de son poste de bibliothécaire à Sainte Geneviève, il explore les sources textuelles littéraires et accumule des notes, néologismes, citations modifiées, calembours, croquis et construit le palimpseste de son Grand Verre. Il rassemblera toutes ses notes préparatoires dans la Boite Verte, soit une accumulation de « huit années, d'idées, de réflexions, de pensées ».
MARCEL DUCHAMP Le Grand Verre (La Mariée mise à nu par ses célibataires, même.) 1915 – 1923 / 1991 – 1992, 2ème version Huile sur feuille de plomb, fil de plomb, poussière et vernis sur plaques de verre brisées, plaques de verre, feuille d’aluminium, bois, acier Moderna Museet, Stockholm
En choisissant de montrer Duchamp là où on ne l’attendait pas, l’exposition parvient finalement à rendre de la complexité à son œuvre et à réconcilier ready-made et peinture. Le ready-made serait finalement un contrepoint intelligible de son projet de reformuler la peinture et, peut-être même, son aboutissement.
Centre Pompidou
Exposition ouverte de 11h à 21h
tous les jours, sauf le mardi
11 à 13 euros, selon période
tarif réduit : 9 à 10 euros
jusqu’au 5 janvier