La scène du bal du Comte Bitowski. De gigantesques pendeloques de crital
figurent le luxe et l'élégance de la soirée.
La plupart du temps, ils sont perchés sur la gloriette qui servira de décor à toute l'opérette. Une gloriette aux colonnes surmontées de chapiteaux composites, blanc et or, qui ressemble à ces gloriettes que l'on juche au sommet d'une pièce montée servie à l'occasion d'un mariage, car Wiener Blut, malgré le goût immodéré pour l'alcool et la légèreté des amours qui semblent passagères, se termine par un triomphe de la moralité: le Comte se réconcilie avec la Comtesse et renonce à ses passades, la Demoiselle Cagliari, qui doit renconcer au Comte, épousera le Prince, et Josef et Pepi, un moment fâchés, se rabibochent eux aussi et annoncent leurs noces prochaines.
Les trois arcades de la gloriette sont devenus des 'chambres séparées'
du Heuringen, des salons particuliers dans la taverne,
les berceaux de verdure du livret.
Mais ce n'est pas cette mise en scène couronnée de chantilly qui retient le plus l'attention et recueille les suffrages. C'est l'orchestre dynamisé par Michael Brandstätter qui nous entraîne dans des rythmes endiablés de valses, de polkas et de mazurkas. Il faut dire que l'adaptation pour la scène des musiques de Johann Strauss par Adolf Müller est particulièrement heureuse. La juxtaposition des morceaux choisis, parmi les plus beaux que le roi de la valse ait composés, est aussi harmonieuse que judicieuse, on ne sent nulle part les coutures, tout cela coule et rebondit comme une pièce musicale unique. La partition et le livret de Viktor Léon et Leo Stein coïncident dans une belle adequatio rei intellectu: la musique exprime au moment adéquat les variations de sentiments des personnages . On reconnaît avec plaisir des motifs du répertoire straussien, bien sûr Wiener Blut, qui a donné son titre à l'opérette, et ensuite Morgenblätter, et encore ce refrain extrait de la valse Wo di Zitronen Blüh’n. Toute cela donne envie de danser et de chanter de concert avec les excellents interprètes de cette belle opérette.
Un des grands plaisirs de la soirée est réservé aux germanophones confirmés et tient aux jeux dialectaux. Le premier ministre du Reuß-Schleiz-Greiz (Hans Gröning), un petit état allemand de la Thuringe de l'Est qui n'est pas sans rappeler par son comique le Thunderten Tronck westphalien de Voltaire, s'exprime avec un fort accent saxon, qui n'est pas sans détonner parmi les Viennois à l'accent autrichien prononcé et dont les réparties sont farcies d'un argot truculent qui n'hésite pas à emprunter toute une série de mots et d'expressions à la langue française. En autrichien, le recours au français, cela fait chic! On a de plus la chance d'avoir sur scène un immense acteur comme Wolfgang Hübsch, inénarrable dans le rôle de Kagler, le maître de manège qui ne désaôule jamais. Son jeu de scène, sa voix grave, éraillée, graillonneuse, empâtée, avinée, donnent un régal de tous les instants. Même en comprenant l'argot viennois, il n'est pas sûr que l'on ait accès à toutes les éructations de Kagler. Le public bavarois se tord en tout cas de rire et apprécie sans nul doute les subtilités de langage d'un livret qui égrène la gamme des variations linguistiques qui vont du viennois le plus populaire au viennois de la Cour.
On bénéficie d'un excellent plateau, qui réunit plusieurs des meilleurs interprètes d'opérette du moment: Cornelia Horak en Gabriele Zedlau donne une comtesse élégante, raffinée, jusqu'au moment où cette grande dame cède elle aussi aux charmes de l'alcool dans la scène de la taverne, un changement que la chanteuse interprète avec le talent de son soprano délicat et scintillant. Ella Tyran, bien connue et appréciée du public du Theater-am-Gärtnerplatz, a un chant et un jeu énergiques pour interpréter la demoiselle Cagliari. La Pepi Pleininger de Jasmina Sakr a une présence scénique plus discrète, fort charmante au demeurant, là où l'on pourrait attendre une prise de rôle plus nuancée dans son développement. Du côté masculin, on retouve avec plaisir Tilmann Unger en comte Zedlau, il fit les beaux soirs du Gärtnerplatztheazter de 2007 à 2012, alors qu'il était membre de la troupe. Daniel Prohaska, qui est encore dans toutes les mémoires des amateurs pour sa belle interprétation du Mister X de la Princesse du cirque (Zirkusprinzessin) de la fin de la saison dernière, nous revient ici pour donner âme et caractère à Josef, le serviteur du Comte Zedlau, l'amoureux de Pepi, avec se belle projection vocale. Harald Hoffmann tient deux parties, et est très drôle dans les deux rôles: celui d'un cocher de fiacre vitupérant, et celui du Comte Bitowski, qui donne le bal où il se montre, malgré sa chaise roulante, égrillard et entreprenant en amateur inconditionnel du beau sexe.
Une excellente soirée d'opérette, particulièrement sur le plan musical.
Wiener Blut se joue encore les 5, 6, 7, 9, 12 et 18 décembre au Théâtre Cuvilliés de la Résidence. Quelques places restantes. Pour les réservations en ligne, cliquer ici.
Crédit photographique© Christian POGO Zach