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Témoignages de déportés

Publié le 12 novembre 2014 par Lebon Ecu @lebonecu

Alimentation

ANDRE MARAIS (30577) / DORA

 » J’ai survécu grâce à un colis que recevait un Alsacien, de ses parents habitant Berlin. Ce colis mensuel envoyé par des  » Allemands  » n’était pas ouvert.

Comme d’autre part les yeux et les mains de nos voisins ne laissaient aucun doute sur leurs intentions, nous étions quatre à déguster ce colis en une seule journée.

Le colis de François Schwertz, séminariste (30581), nous a donc aidés à passer le cap des quelques mois de Dora. « 

Conditions de Travail

ARMAND WADE (38859) / KDO BILLRODA

 » L’accès au fond de la mine (où se trouvait l’usine) était réalisé par deux monte-charge : un pour les hommes, un pour le matériel.

Les échelles de secours, scellées dans le mur, n’ont été utilisées, pendant cette période, qu’une seule fois à cause d’une panne de monte-charge, par une équipe montante (qui n’était pas la mienne).

Bien sûr la remontée a duré plusieurs heures car il s’agit d’une profondeur de plus de deux fois la hauteur de la Tour Eiffel de Paris.

Conditions de Vie

EDMOND PERRIER (14695) / KDO BAD SALZUNGEN

De l’usine, située dans une mine de sel à 317 mètres de profondeur, une galerie longue de 2 kms menait au dortoir très haut de plafond.

Des planches le long de la paroi y étaient disposées, sur lesquelles nous dormions.

Je suis resté un mois sans remonter, sans voir la lumière naturelle du jour. « 

Hébergement

JEAN BARNET (49496) / KDO HALLE

 » Nous logeons dans les combles d’un de ces bâtiments de l’usine « 

Discipline

FELDMANN LAURENT (31306) / KDO ABTERODE

 » Civils allemands corrects.

Presque tous les SS étaient des soldats de la Luftwaffe transformés en SS.

Pas d’exaction notable « .

Evasion

MEGE GEORGES (77644) / KDO ARTERN

 » Dans l’attente de la construction de nos baraques-logements à côté de l’usine, nous étions installés provisoirement dans un bâtiment de sport à l’autre bout de la ville.
Tous les matins, jusqu’à fin février ou début mars 1945, nous traversions la petite ville vers les 6 heures et retournions vers 19 heures, ou l’inverse pour l’équipe de nuit.

Un certain jour de mars, il y eut une évasion assez extraordinaire à l’usine. Un camarade français nommé Muller, parlant couramment allemand et bénéficiant sans doute de complicités de civils, serait sorti habillé en civil au moment du débauchage.

Cet événement a eu pour conséquence un  » appel platz » de plusieurs heures. Les SS étaient très nerveux, les coups pleuvaient sur les camarades de l’équipe Muller et l’interprète français était malmené par le Blockführer. « 

Résistance

ANDRE MARAIS (30577) / DORA

 » Ils arrivèrent à sept avec un bâillon pour les empêcher de parler ou simplement de hurler. L’un d’eux, un Tchèque, une fois monté sur le tabouret regarda le jeune officier nazi qui commandait la manœuvre et lui dit malgré son bâillon :  » aufwiedersehen  » (au revoir), l’air de lui dire : on se retrouvera là-haut !

Une autre fois les pendus étaient dans le tunnel au niveau de l’électronique. Renseignements pris, les Russes pendus avaient été pris en train d’uriner sur les parties vitales de l’ogive.
Placés debout dans ce trou, les Détenus avaient accès à tout. Quelle confiance de la part des civils allemands certainement ingénieurs électroniciens. Il s’agissait du guidage du V2
. « 

Revier

JEAN CORMONT (41279) / DORA

 » Janvier / Février 1945 à Dora.

Au Revier, la place manque, on allonge ces misérables n’importe où à même le sol, les bouches qui bavent, les visages qui se tournent pour mourir, des cris que rien n’arrête : à boire, pitié à boire !…

Le terre-plein du Revier est encombré, les cadavres s’entassent en bas des marches, comblent les fossés en un énorme tas qui monte toujours.

Un enchevêtrement de bras, de jambes. La neige, pitoyable, vient les vêtir. « 

Evacuation

GIRAUDI BLAISE (Guérin Bernard) (77536) / KDO ARTERN

 » Fin mars, nous sommes environ 450 – minorité de Français très polluée par quelques gangsters gestapistes… et nous évacuons en 2 colonnes…

Après plusieurs jours par chemins détournés, nous arrivons à Rehmsdorf (Tröglitz) et déjà le pire s’est manifesté : les malades, ceux qui s’arrêtent sont exécutés.

Je suis en queue de colonne, le spectacle est à deux pas… camp à majorité juive, bombardé, sans eau – 2000 personnes me dit-on. Des morts dans tous les coins. On tue à tour de bras.

Quand le camion d’eau arrive, des hommes, des fantômes encore debout mais déjà non vivants. Ils tombent, tombent comme des pantins, sans un geste.

Marcher sur des cadavres ?
J’ai perdu ma gamelle. C’est la mort à court terme par privation de la seule soupe. On m’indique une baraque au tiers enterrée et à laquelle on accède par une voie en pente.
J’ouvre la porte et je suis face à une épaisseur de un mètre de cadavres, pêle-mêle. Au-delà, un rebord de mur de 20 cm et dessus 7 ou 8 gamelles m’attendent.
Qui donc n’a jamais marché sur un tas de cadavres ? Ils roulent sous vos pas ; on tombe avec ses mains sur les peaux glacées et des yeux grands ouverts vous regardent.
Cela me revient encore de temps à autre comme le pire qui apparaît sans limite.

J’ai mangé une soupe quelques instants après et je n’ai même pas vomi car voyez-vous le corps physique a ses propres lois dans ces moments-là.

Le 15 avril 1945, dans la petite gare de Marienberg, en pleine forêt, le convoi sans locomotive est stoppé.
La situation est atroce. Le wagon découvert depuis plusieurs jours, sous la pluie et la neige, sans nourriture.

Notre kommando d’Artern, après des jours de marches forcées, avait été incorporé à l’épouvantable camp de Rehmsdorf. Là, le comble de l’horreur avait été atteint : pas d’eau, pas de nourriture, des morts et des mourants dans tous les coins.

Puis départ en wagon (environ 2500) vers Altenburg-Marienberg et l’inconnu…

Ce 15 avril 45, les fossoyeurs travaillent sans arrêt. Le long du ballast s’étalent morts et mourants, déambulent des fantômes cherchant un peu d’herbe, se chauffant à de maigres foyers.

La mort est proche pour tous ; alors pour ceux qui ont encore quelques ressources il faut tout tenter.

Ainsi 3 groupes réussissent l’évasion. 7 hommes en tout. Ils sont tous rentrés.

Après, en fin d’après-midi, d’un coin de la profonde forêt où j’étais terré, j’ai entendu crépiter les armes, et ceux qui voulurent nous imiter ne sont pas revenus, rejoignant les autres dans les fosses communes.

Pendant 6 jours à travers forêts, collines, rivières je marchais avec le froid, la pluie et la faim, la faim atroce, pour seuls compagnons. Tout cela serait trop long à raconter : la chance incroyable, la volonté forcenée de revenir, la résistance insoupçonnée…

Mais rien n’aurait abouti sans le paysan R. Günther…
Ce devait être le 20 ou le 21 avril qu’à bout de force je m’écroulais dans la cour de sa ferme. Les Américains étaient à 5 kilomètres de là, à Mittelbach, mais la sentinelle allemande était à 100 mètres de la ferme de Günther qui n’a pas hésité à risquer sa vie et la sécurité des siens en me gardant 6 jours caché dans le fenil et l’écurie. « 

Faits Particuliers

JEAN CORMONT (41279) / DORA

 » Soixante pendus.
Le 21 mars 1945, les SS sont devant l’arbeitstatistik. Ils font dresser les potences sur la place d’appel. Tout le camp est rassemblé et les condamnés sortent du bunker.

Plus de soixante détenus seront bâillonnés avec un bâton en travers de la bouche, monteront sur un tabouret et seront pendus après que le bourreau l’ait retiré. « 

Divers

JEAN FOUCAT (52320) / DORA

 » Sauver son âme.

Dans ce paysage de désolation où l’on rencontrait agonisants et morts, il fallait posséder une âme bien trempée. Pour ceux qui la perdirent, elle sombra, submergée, écrasée par l’instinct bestial où toute réflexion n’avait qu’un but : se nourrir.

L’attente de la ration quotidienne était une obsession. Son insuffisance, parfois son absence, transformait les cerveaux en distillerie de la peur ou en laboratoire de cuisine mirifique, pantagruélique.

Elle devenait un imaginaire prodigieux de frustration qui finissait par accroître la détresse, conduisait à la prostration, à la tristesse et à l’abandon.

Certains nouveaux arrivants à Dora, abattus par sa réputation, le visage décomposé par l’angoisse, perdaient l’envie de vivre. Dans leurs yeux, on décelait l’affolement des bêtes traquées. « 


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