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Que n’ose-t-on par amour !

Publié le 04 décembre 2014 par Jacquesmercier @JacquesMercier

Cela se passe dans les années 70. On m’avait envoyé en reportage au Sénégal et je logeais dans un hôtel splendide, mais sans téléphone international et le portable n’existait pas encore…

J’étais très amoureux de la femme de ma vie ; nous n’en étions qu’aux premiers mois de notre idylle. Lorsque j’ai voulu lui téléphoner de l’hôtel, on me dit que pour une liaison internationale, il valait mieux que j’aille au village voisin. Je prends donc une matinée pour me rendre dans ce village typique et demeuré visiblement encore en dehors du tourisme.

Je deviens alors le point de mire des quelques dizaines de villageois. Les enfants me suivent en chantant. J’avais demandé le chemin et lorsque je suis arrivé à la centrale téléphonique, qui était aussi la mairie, le poste de secours, la blanchisserie et bien d’autres choses ; le grand chef du village m’attend, entouré de ses sous-chefs : Il me souhaite solennellement la bienvenue et me demande ce qu’il peut faire pour moi.

Je lui parle de mon coup de téléphone et il appelle l’unique standardiste. Une femme rondelette en boubou. On entre dans une grande pièce, où elle trône devant un mur d’appareillages anciens, avec des fiches, des fils, des manivelles, des cadrans à n’en savoir que faire ! Je lui écris le numéro de téléphone. Elle le regarde pensivement et puis me dit que je peux m’installer en attendant.

Je me retourne pour prendre une chaise et je m’aperçois que la moitié du village est déjà installée autour du chef, comme au spectacle. La préposée donne un premier coup de fil. Visiblement elle appelle une de ses connaissances pour lui dire qu’un blanc veut téléphoner en Belgique, où ça ? oui, près du Luxembourg ! Elle donne plusieurs coups de fil et toujours me sourit en disant qu’il faut attendre.

Cela dure vraiment longtemps. Entretemps, je pense que vraiment tout le village est sur place à regarder cette scène qu’ils ne doivent pas vivre souvent.

Enfin, après longtemps d’attente, après bien des coups de manivelles et des sonneries, je l’entends qu’elle dit par son micro-casque : « Monsieur Mercier veut vous parler. » Je vous jure que certains ont applaudi déjà.

Je prends le combiné et j’entends la femme de ma vie. Je n’hésite pas, je sais que tout le monde va m’entendre, mais je sais aussi que c’est sans doute la seule occasion que j’aurai pour lui rappeler mon grand amour. Et me voilà criant (car évidemment la communication, sans doute écoutée par plein de standardistes en chemin, est mauvaise) « Je t’aime plus que tout. Tu me manques. J’ai envie de toi, etc. »

Lorsque je raccroche enfin, cette fois tout le monde rit et applaudit ! Le chef du village demande le silence et s’approche de moi. Il me dit quelques mots, des larmes dans les yeux, quelque chose comme : « Bravo, Monsieur, c’est beau l’amour ! »

Cela dit, j’étais fier d’avoir surmonté ma timidité par amour.

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