Pour signaler la récente parution de la toute première traduction en français d’un livre du grand poète espagnol Claudio Rodríguez (1934-1999)
Je me demande parfois si la nuit
se ferme au monde pour s’ouvrir ou si
elle s’ouvre sous un choc si soudain
que nulle aube ne vient, tellement nue
qu’elle ne s’efface pas car nul jamais
ne la crée : ni la lune, ni le soleil.
Ma tristesse non plus ne peut la voir
telle qu’elle est, prisonnière des astres
lorsque le jour est en eux manifeste,
cachant que la nuit est peuplée de champs
d’une aurore furtive, intense et non
en germe, blancs oiseaux, pleine lumière.
Et l’air parfois s’embrase sous un vol,
non pas sa brûlure mais par sa distance.
Une clarté d’étoiles brunit les pins
et elle brunira mon corps enfin.
Que faire sinon lancer très haut ma vie
jusqu’à mille lieux, au loin dans l’espace ?
Dans la nuit toujours brûle un feu caché,
la splendeur de l’air, un jour resté vain
pour nos sens qui, gravitant vers le haut,
ne voient pas et n’entendent pas en bas.
Le calme est un heaume pour le fleuve et
la douleur une brise pour le peuplier.
Et je le comprends, les ombres ainsi
offrent leur lumière, l’offrent tant et tant
que le matin jaillit sans commencer
ni finir, éternel dès le couchant.
Yo me pregunto a veces si la noche
se cierra al mundo para abrirse o si algo
la abre tan de repente que nosotros
no llegamos a su alba, al alba al raso
que no desaparece porque nadie
la crea: ni la luna, ni el sol claro.
Mi tristeza tampoco llega a verla
tal como es, quedándose en los astros
cuando en ellos el día es manifiesto
y no revela que en la noche hay campos
de intensa amanecida apresurada
no en germen, en luz plena, en albos pájaros.
Algún vuelo estar quemando el aire,
no por ardiente sino por lejano.
Alguna limpidez de estrella bruñe
los pinos, bruñirá mi cuerpo al cabo.
¿Qué puedo hacer sino seguir poniendo
la vida a mil lanzadas del espacio?
Y es que en la noche hay siempre un fuego oculto,
un resplandor aéreo, un día vano
para nuestros sentidos, que gravitan
hacia arriba y no ven ni oyen abajo.
Como es la calma un yelmo para el río
así el dolor es brisa para el álamo.
Así yo estoy sintiendo que las sombras
abren su luz, la abren, la abren tanto,
que la mañana surge sin principio
ni fin, eterna ya desde el ocaso.
Claudio Rodríguez, Don de l’ébriété, suivi de En guise de commentaire, traduit de l’espagnol par Laurence Breysse-Chanet, préface d'Antonio Gamoneda, Arfuyen, 2008
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