Depuis le temps des Maisons de la Culture initiées par André Malraux au début des années soixante, le mot de culture, en France, semble être assimilé davantage à un terrain de combat qu'à une promesse d'épanouissement et d'échanges apaisés.
Déjà le projet d'André Malraux donnait lieu aux controverses, aux oppositions quand bien même l'idée que l'on puisse associer les disciplines dans un cadre convivial où il serait possible de dialoguer dans une cafétéria ou un restaurant tranchait, à l'époque, avec l'accueil austère des musées. Un demi-siècle plus tard, ce mot de culture reste pernicieux aux yeux de ceux qui, hermétiques à toute création, l'accusent de toutes les outrances ou de ceux encore qui, s'estimant détenteurs d'une parole éclairée, raillent un terme suspect de se destiner au plus grand nombre.
"France interdite" Panneau routier de Claude Rutault 1972
Aujourd'hui, devant le reflux des moyens financiers, le mot de culture subit de plein fouet à la fois la crise économique et la montée d'une parole hostile. La plus flagrante de ces paroles s'exprime quand un maire fait repeindre en bleu piscine la sculpture en bronze d'un sculpteur pour "égayer sa ville" ou quand un tribunal de grande instance condamne un FRAC à verser un euro dit symbolique pour « atteinte à la dignité humaine » sans que cela n'émeuve l'ensemble des instances culturelles. La plus toxique de ces paroles tient peut-être au silence qui accompagne la dégradation croissante du tissu culturel.
Après vingt-quatre années d'activité, le centre d'art contemporain de Basse-Normandie, le Wharf fermera dans le premier trimestre 2015. En juin prochain, il sera mis définitivement un terme à la programmation du centre d’art contemporain les Eglises à Chelles. A Toulouse, Le Lieu-Commun est lui aussi menacé de fermeture, dès la fin de l'année 2015. La suppression pure et simple du festival Fort en Jazz à Francheville, qui a fait sa 25ème édition en 2014, celle du Festival de Sens, les menaces contre le festival de Jazz ainsi que la suppression du Festival le Jour J à Orléans, les risque de restrictions budgétaires sévères contre le Centre d'art contemporain de Bretigny, celui de La Panacée à Montpellier ou le Forum au Blanc-Mesnil, tout cela participe à un même mouvement de retrait facilité par l'indifférence dans laquelle se joue cette détérioration d'un espace public de liberté et où le silence vaut consentement. Ce florilège n'est pas, hélas, exhaustif et ne prend pas en compte toutes les coupes drastiques qui s'effectuent dans le silence des bureaux.
L'émiettement du tissu social des artistes empêche également, me semble-t-il, d'opposer une parole audible à ce processus dont eux-mêmes sont victimes. Cet émiettement n'a pas toujours été et on peut vérifier, dans la seconde moitié du vingtième siècle, que les groupements d'artistes ont eu l'opportunité de manifester une prise de conscience collective et d'engager une action commune lorsqu'ils estimaient menacées les conditions dans lesquelles s’exerçait leur activité.
Avant que la tendance que nous observons aujourd'hui n'aboutisse à une déliquescence profonde du tissu culturel, avant que la contre-parole émise à l'endroit de l'art contemporain ne gagne un terrain abandonné par des troupes silencieuses soigneusement repliées, la vigilance est indispensable. On peut trouver parfois, dans l' océan internet, quelques bouteilles à la mer lancées au gré des flots numériques. Suffiront-elles à remettre au premier plan les risques d'un naufrage annoncé ?