Place d'abord au vrai album "vintage", "La petite Poule rousse" (MeMo, 36 pages), illustré par la Française Simone Ohl (1908-1976), qui avait adapté dans les années 1940 huit contes (traduits par Elisée Escande) extraits du livre célèbre de la pédagogue américaine Sarah Cone Bryant (1873-?), "Comment raconter des histoires à nos enfants" (Fernand Nathan, 1911, "How to tell stories to children and some stories to tell", 1905, à lire ici).
La maison de l'héroïne. (c) MeMo.
Une double page. (c) MeMo.
Michèle Cochet a proposé aux Editions MeMo de rééditer plusieurs de ces contes, "Les aventures de la petite Souris" était déjà paru en juin.
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Qu'est-ce qui est le plus effrayant? La peur de quelque chose ou l'idée qu'on s'en fait? Réponse dans le très bel album d'Adrien Parlange, un nouvel auteur-illustrateur prometteur, "La chambre du lion" (Albin Michel Jeunesse, 40 pages), dont le graphisme évoque des gravures à l'ancienne. Un livre sobre et expressif. La chambre du titre est figurée par des traits qui se répètent, le lit, le lustre, le miroir, le tapis, le rideau, qui seront tour à tour utilisés dans cette histoire de peur pour sourire.
La peur se met en place. (c) Albin Michel.
Tout commence bêtement, comme souvent. Le lion, celui du titre, a quitté sa chambre. La souris qui dort dans un coin s'enfuit à l'arrivée d'un enfant curieux. Curieux mais pas insensé: quand il entend du bruit, il croit au retour du propriétaire et se tapit sous le lit. Il se trompait: c'est un autre garçon qui entre mais le premier, camouflé, terrorisé, ne le voit pas. De nouveaux pas font s'affoler le deuxième visiteur qui grimpe dans le lustre. Nouvelle erreur: c'est une petite fille qui pénètre cette fois dans la pièce et qui, entendant aussi des pas et craignant le retour du lion, se glisse sous le tapis.La chambre du? (c) Albin Michel Jeunesse.
De double page en double page, d'autres visiteurs se présentent, un chien, une volée d'oiseaux, tous aussi curieux que prudents à la moindre alerte. Jusqu'au retour du lion, évidemment. Un retour à surprise: le roi des animaux ne reconnaît pas les lieux familiers. Tout a-t-il changé? Il prend peur lui aussi, se cache à son tour, sous sa couverture. Un endroit douillet qui va accueillir la petite souris du début."La chambre du lion" est un album en boucle très bien pensé, dans lequel les plus attentifs débusqueront plein de petites scènes parallèles. Il n'effraie que pour mieux réjouir. Et ses images rétro, pas loin des tampons encreurs, sont un régal.
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Madame Caniche et ses quatre petits. (c) Hélium.
Le nœud rouge coquettement posé sur l'oreille, l'immaculée Madame Caniche admire ses quatre nouveaux chiots sous la table du téléphone à l'ancienne, trois demoiselles qui se ressemblent comme des gouttes d'eau, Fi-fi, Chou-Chou, Ouh-Là-Là, et "Gaston" qui donne son titre à l'album de Kelly DiPucchio, illustré par Christian Robinson (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gilberte Niamh Bourget, Hélium, 40 pages).
Les petits grandissent. (c) Hélium.
Quel plaisir que ces joyeuses images rétro montrant, dans des décors des années 50 et 60, les scènes d'apprentissage des quatre petits! Les trois filles sont parfaites tout de suite, Gaston s'applique beaucoup pour un résultat parfois un peu décevant. Heureusement, personne ne lui reproche rien. Et tout le monde semble tellement content!Jusqu'à cette promenade au parc, première sortie en public des quatre petits de Madame Caniche. Elle correspond justement à la première promenade de Madame Bouledogue et de ses quatre à elle, se présentant également sous la formule trois plus un. Y aurait-il eu un malentendu à la naissance? Une confusion? Une très belle scène montre les deux "différents", Gaston et Antoinette, faire connaissance et montrer leurs particularités.
Les deux mamans ont la sagesse de laisser leurs enfants décider. Vont-ils se regrouper entre caniches et bouledogues ou pas? L'album montre les expériences qui sont tentées et les conclusions qui vont s'imposer. Chacun est différent et mérite d'être respecté! Vive l'album "Gaston", son message de sagesse, ses illustrations désuètes charmantes, sans oublier sa tendre finale.
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Né au Québec sous le titre "Un verger dans le ventre", l'album de Simon Boulerice et Gérard DuBois est devenu "Un pommier dans le ventre" (Grasset-Jeunesse, 48 pages) en traversant l'Atlantique. Direction la France et l'Allemagne (chez Diogenes). Ce petit trésor au look vintage s'empare avec humour et tendresse de cette vieille peur d'enfant: quand on avale le noyau ou le pépin d'un fruit, un arbre peut-il pousser dans votre ventre?
Tout commence ici. (c) Grasset-Jeunesse.
L'album commence avec Raphael, blondinet chapeauté sur le chemin de l'école: "Je mange mes pommes en entier. Enfin, presque. Il n'y a que la queue que je ne mange pas." C'est à la récréation que les choses se compliquent. Son pote Rémi Smith le regarde les yeux ronds: "Les pépins, ça ne se mange pas!" Il le sait bien, Rémi. Sa famille de pomiculteurs lui interdit de manger les pépins. "Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre?!", insiste-t-il.Raphael a bien quelques objections, mais Rémi les balaie toutes, les unes après les autres. Le mangeur de pommes se sent de plus en plus mal. Et son inquiétude est à son comble lorsque son camarade, après avoir calculé le nombre de fruits avalés, déclare: "C'est très grave, Raphael. Il doit y avoir tout un verger dans ton ventre!"
Une fin heureuse. (c) Grasset-J.
La classe reprend. Notre héros a des crampes à l'estomac, découvre son ventre bosselé à cause des petites pommes qui y poussent. Il se voit transformé en verger, sa peau devient de l'écorce d'arbre. Même quand sa mère lui coupe les cheveux après l'école, il a des visions atroces. Heureusement qu'il parvient à parler de ses angoisses à sa maman et qu'elle le rassure. Raphael est soulagé et voit à nouveau la vie du bon côté, même s'il envisage de renoncer aux pommes."Un pommier dans le ventre" apparaît extrêmement réjouissant grâce à son propos juste et jamais mièvre et à ses illustrations à l'ancienne qui racontent à elles seules le quotidien au siècle passé, quand on sautait à la corde et qu'on jouait à saute-mouton. Sereines et imaginatives, ces dernières accompagnent le texte et le complètent habilement.
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Premier livre de la Britannique Sophy Henn, "Une maison pour Ours" (pas de nom de traducteur, Albin Michel Jeunesse, 32 pages) raconte avec talent, dans un graphisme un brin rétro sobre et efficace, les itinéraires parallèles d'un petit garçon et d'un ourson qui vivent ensemble depuis toujours. Quand ils grandissent, les inséparables découvrent leurs nouvelles différences. Comment encore cohabiter? Ours doit déménager. Mais où?
Ours grandit plus vite que son pote humain. (c) Albin Michel J.
La recherche d'une maison pour Ours. (c) Albin Michel Jeun.
S'ensuit un savoureux dialogue entre les deux amis. Le garçon sait où l'on trouve des ours: au magasin de jouets, au zoo, au cirque, dans les bois, dans une grotte, dans la jungle... Chaque proposition amène une double page joliment présentée, et le refus catégorique d'Ours! Jusqu'au moment où arrive LA bonne idée, aussitôt exécutée, et mettant en joie le duo qui trouvera bonheur et paix dans cette solution évidente."Une maison pour Ours" est une vraie belle histoire à hauteur d'enfant.
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Extra petit format à l'italienne, "Envole-toi!", de Virginie Aladjidi, Caroline Pellissier et Emmanuelle Tchoukriel aux illustrations, se passe en blanc de neige et bleu de ciel. Différentes mamans animaux, dont les silhouettes sont soulignées d'aplats de rouge fluo, y incitent leurs petits à prendre leur envol.C'est simple, fort et encourageant. "Envole-toi!" parle des craintes des petits et les incite à les dépasser car le monde les attend et vaut la peine d'être découvert. Le tout dans une longue frise enneigée dont le calme est piqué de traces de vie: les traces des animaux, jamais nommés mais de toutes les espèces, oiseaux, mammifères, poissons, insectes, apparaissent en couleur argentée.
Un message réjouissant qui s'achève par l'invitation des mamans à ce que les petits viennent leur raconter leurs découvertes avant de repartir. Des illustrations charmantes, pleines de détails à y déceler, dont la silhouette de l'animal vu à la page précédente.
Les trois premières doubles pages. (c) Ed. Th. Magnier.
***"Le meilleur livre du monde!" de Rilla Alexander (pas de nom de traducteur, Gautier-Languereau, 48 pages) nous vient de Londres. Le titre est évidemment à prendre au second degré mais l'album procure une bonne dose d'amusement en invitant le lecteur à embarquer à bord de ses doubles pages. Quelle expédition que cette lecture! On y va du bus à l'aéroport, on y passe du parachute à la luge, de la canicule à l'océan... sans jamais lâcher le volume que l'héroïne dévore avec appétit. Belle idée que ce joyeux manifeste pour la lecture donnant envie de lire tous les livres qui existent. Et le graphisme multicolore souligne la variété des livres existants. Une farce fort bien menée, pleine d'inventivité sur un sujet aussi vieux que le livre et très convaincante.
Quelques doubles pages de la version originale en anglais.
"Lis avec moi, lis à haute voix". (c) Gautier-Languereau.
"Ou bien dans ta tête" (c) Gautier-Languereau.
"Laisse-toi aller!" (c) Gautier-Languereau.
"Nous avons des personnages à rencontrer". (c) G.-L.
Un petit aperçu animé ici. En anglais mais super facile à comprendre. On y voit en grand la lectrice qui mène la danse dans "Le meilleur livre du monde!".