« Formidable. » Ce lundi 17 novembre, la ministre de l’Education nationale s’enthousiasme en échangeant avec des élèves de troisième durant leur cours de mathématiques. Najat Vallaud-Belkacem inaugure le collège Marguerite Duras de Montélimar, un établissement flambant neuf de la Drôme, qui se veut « exemplaire » en matière de numérique. Au cours d’une journée menée au pas de charge, dans ce département puis dans l’Ardèche, elle décline ses projets pour l’école de demain.
Le numérique est justement l’un des sujets qu’elle souhaite promouvoir. Ce dossier, sur lequel l’Elysée a la haute main, doit faire l’objet d’une vaste consultation début 2015. Au collège Marguerite Duras, les élèves, équipés de tablettes, interagissent avec leur professeur et son tableau numérique. « Votre collège fait figure de préfigurateur, lance la ministre. C’est celui qu’on regardera de très près pour préparer au mieux 2016. » La date n’est pas choisie au hasard. C’est l’horizon que s’est fixé François Hollande pour fournir des tablettes à tous les élèves de cinquième. « Les tablettes permettent de mieux apprendre », vante la ministre, qui y voit « des perspectives immenses ». Aux collégiens qui l’interrogent sur sa propre scolarité elle confie, à dessein : « Je n’étais pas très bonne en maths, mais si j’avais eu une tablette numérique et des exercices interactifs, peut-être que j’aurais plus aimé ça »…
Ce jour-là, les tablettes utilisées par les collégiens sont en réalité celles de leurs enseignants, car le matériel destiné aux élèves n’est pas arrivé. « Les marchés publics, ça prend du temps… », explique le président PS du conseil général, Didier Guillaume. Puis il insiste sur un autre point : « Il faut former les professeurs, pas un peu mais beaucoup ! Car, dans certains établissements, des tableaux numériques restent éteints faute d’enseignants formés pour s’en servir. » La ministre écoute. Plus tard, elle confirmera : « Il faut former les enseignants au numérique. »
« Stimuler l’esprit d’entreprendre »
Dans ce collège modèle, le professeur est un ancien ingénieur. « Toujours disponible » pour ses collègues, il forme « des jeunes de cinquième, de quatrième, de troisième, qui sont des petits génies, des merveilles ». « Formidable », glisse encore Najat Vallaud-Belkacem. Mais le secrétaire départemental de la FSU, Jean-Louis Mollard, n’est pas aussi enthousiaste. « Les équipements numériques, des enseignants contents, c’est positif, dit-il. Mais il est excessif de présenter cet établissement comme la vitrine du collège de demain. Car très vite se posera la question de la généralisation : les tablettes, cela représente des sommes considérables, alors qu’on nous parle au contraire d’économies. » Il se dit aussi « sceptique » sur la maintenance, au vu du nombre d’enseignants susceptibles de s’en occuper. Et émet des doutes sur le fond : « Les tablettes, ça ne favorise pas forcément ce qu’on attend des élèves, à savoir de la concentration. »
Au premier étage de ce même collège, un projet de mini-entreprise est, pour la ministre, l’occasion d’avancer ses idées sur la découverte du monde professionnel, un autre axe de son école de demain. Dans une salle de classe, les jeunes conçoivent un support d’ordinateur pratique, peu coûteux et facilement transportable. Des professeurs les encadrent, mais aussi des retraités, bénévoles. « Nous travaillons sur un prototype qui pourra se vendre », assure, avec dynamisme, Louisa, élève de troisième. « Super idée ! encourage la ministre. C’est formidable qu’au collège, on donne envie aux élèves de créer leur propre entreprise. » L’école doit aider « à s’orienter, à envisager sa place dans le monde professionnel, voire à nourrir et développer cette ambition folle de créer sa propre entreprise », poursuit-elle. Après le numérique, elle fait de nouveau écho aux propos de François Hollande affirmant, l’an dernier : « Stimuler l’esprit d’entreprendre dans notre pays, c’est d’abord le rôle de l’école. » Le Conseil supérieur des programmes (CSP) doit se prononcer début décembre sur le contenu du parcours de découverte du monde professionnel. Prévu par la loi de juillet 2013, il est censé éclairer les élèves sur leur orientation et favoriser l’esprit d’entreprendre. Le sujet laisse toutefois la FSU « encore plus sceptique que sur le numérique ». « Plonger les élèves dans le monde de l’entreprise au collège, c’est trop tôt », estime Jean-Louis Mollard. Il s’inquiète surtout des « valeurs » que doit transmettre l’école. « On est censé y apprendre la solidarité et l’entraide, précise-t-il. Or, le monde de l’entreprise vante la concurrence et la compétitivité. »
Dans la cour du collège, Najat Vallaud-Belkacem discute avec Didier Guillaume. Entre le numérique, le projet de mini-entreprise et aussi une démonstration de médiation entre élèves destinée à prévenir les conflits, la ministre semble ravie : « Et après, on dit que l’école ne se réforme pas… » Le président du conseil général acquiesce : « Il y a dix ans, quand on visitait un collège, on voyait des profs de maths, de sciences naturelles ; maintenant, on voit du numérique, une mini-entreprise, de la médiation. Ca bouge ! » « Il ne faut pas confondre l’accessoire et l’essentiel, proteste Jean-Louis Mollard. Or, l’essentiel, c’est que l’école ait les meilleures conditions pour fonctionner et transmettre des connaissances. Et tant qu’on aura des classes chargées, même avec du numérique, les conditions d’apprentissage ne seront pas bonnes. »
« Mieux allouer les moyens »
A deux heures et demie de voiture de là, après avoir parcouru les routes sinueuses des Monts d’Ardèche, à 1.100 mètres d’altitude, le cortège ministériel arrive à Saint-Cirgues-en-Montagne, un village de 260 habitants. Najat Vallaud-Belkacem y décline un autre projet phare de sa politique : la réforme du collège, annoncée pour 2015. Et, avec elle, le rapprochement entre l’école primaire et le collège. La toute nouvelle cité scolaire regroupe justement, en un même bâtiment, un collège et une école primaire. De l’entrée en maternelle jusqu’à la fin du collège, les élèves passeront ainsi douze ans dans le même établissement – voire treize pour ceux qui auraient commencé leur scolarité dès deux ans. Najat Vallaud-Belkacem assiste à un cours de mathématiques dont la particularité est d’associer élèves de CM2 et de sixième. « Cela correspond à cette école du socle que nous voulons construire, avec une continuité entre la fin de l’école primaire et le début du collège, pour éviter les ruptures que connaissent beaucoup d’élèves et les accompagner au mieux vers la réussite », commente la ministre. Ce « socle », c’est-à-dire ce bagage que l’ensemble des élèves devrait maîtriser à la fin de leur scolarité obligatoire, concentre toutes les oppositions sur l’école. La ministre veut « un socle ne se limitant pas au seul lire, écrire, compter, mais qui s’enrichisse d’une éducation artistique et culturelle, d’une éducation citoyenne, d’un lien entre l’école et le monde professionnel ». Pour la FSU, syndicat majoritaire dans les collèges, le sujet est ultrasensible. « L’expression même d’école du socle nous heurte, prévient le cosecrétaire départemental du SNES-FSU de l’Ardèche, Alexis Reynaud. Nous ne voulons pas d’un socle qui serait un minimum pour 100 % des élèves. » Autrement dit, un plus petit dénominateur commun à travers lequel il entrevoit un nivellement par le bas. Son collègue du SE-Unsa, François Lappe, entend au contraire, dans les propos de la ministre, un soutien aux réflexions que porte son syndicat « depuis vingt ans. Le collège est aujourd’hui conçu comme un pré-lycée, dit-il. Or, il vaut mieux avoir une continuité avec l’école primaire. »
Dans cette cité scolaire, enseignants du primaire et du secondaire travaillent ensemble sur des projets – en mathématiques, en sport, en français. « Les enfants entrent en sixième sans stress, il n’y a plus de rupture entre l’école et le collège », se félicite le directeur de l’école, Thomas Charron. Le principal du collège, Hervé Andritsos, y voit « une anticipation du prochain cycle CM1-CM2-sixième qui entrera en vigueur à la rentrée 2016 ». La ministre salue « des enseignants complètement investis, un climat scolaire exceptionnel, des apprentissages acquis chez les tout-petits de façon assez précoce ». Mais les syndicats mettent en garde, encore une fois, contre « l’effet vitrine » d’un projet qui correspond en réalité à des besoins locaux. « L’Etat n’aura pas forcément les moyens » de déployer le modèle à grande échelle, craint François Lappe. A contrario, en mettant en avant le regroupement d’établissements en zone rurale, le ministère veut illustrer que, en se regroupant, ils peuvent bénéficier de plus de moyens. Voilà qui renvoie à une autre réforme, que la ministre devrait dévoiler mi-décembre : celle de l’allocation des moyens. Il faut donner différemment aux uns et aux autres, non pas en fonction de critères démographiques mais sociologiques, plaide Najat Vallaud-Belkacem.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0203964494092-lecole-de-demain-selon-najat-vallaud-belkacem-1068759.php?gT3USvV97RU8sVVQ.99