Deuxième volet du journal de guerre – c'est à dire essentiellement de la captivité en Poméranie – du père de Jacques Tardi. Le retour des prisonniers de guerre dans leurs foyers se mue en épopée tragique : cinq mois d'errance à travers l'Allemagne sous les bombes alliées et la férule des gardiens de plus en plus nerveux et cruels, malgré la certitude de la débâcle imminente et la progression de l'Armée Rouge effrayante.
Je rends grâce à Tardi de me permettre de situer enfin sur la carte la position du Stalag IIB, celui-là même où mon père, Jean Mens, fut lui aussi, emprisonné avec ses camarades jusqu'à la date de son évasion réussie en février 1942 (voir "Affaire terminée, j'arrive").
Comme dans le premier épisode, René Tardi dialogue avec son fils à venir, ce jeune ado particulièrement mâture qui connaît, lui, les détails de la guerre en cours et les lui livre peu à peu : l'isolement et le manque d'information des prisonniers est aussi une des constantes de cette période et de leur souffrance. A partir de février 1945, les captifs sont poussés en troupeau vers l'ouest à coup de crosses sans presque rien à manger, parqués dans leur vermine, kilomètre après kilomètre dans des hangars ouverts aux vents d'hiver, leur pieds les faisant souffrir, affaiblis, démoralisés. Et en plus, torture atroce, ils tournent en rond pour finir par se libérer "par eux-mêmes" de leurs geôliers sans savoir comment rentrer. C'est alors la débâcle qui change de camp : les villes allemandes sont systématiquement bombardées, on rencontre les colonnes de déportés évacués des camps de concentration dans des marches de la mort inimaginables.
A partir du 5 mai, c'est la grande peur face à Yvan, l'armée russe, qui rend la monnaie de sa pièce à l'Allemagne qui lui a fait subir les horreurs des Einsatzgruppen. C'est moche, la guerre. Certains choisissent le suicide pour échapper aux viols et aux exactions. La revanche des prisonniers laissés sans contrôle est parfois aussi cruelle que celle des précédents oppresseurs : pendaisons sommaires, mitraillage de maisons civiles ou de colonnes de boches capturés …
René Tardi finira tant bien que mal par retrouver son épouse Zette et mettre en route le petit Jacques qui a retranscrit ses carnets de voyage. Et moi, je revois ces paysages où je me suis rendue cet été au bord de la Baltique – à Usedom, à Peenemünde, Anklam, par où passa aussi mon père, dans cet hiver 42 et probablement aussi dans la boue et la neige, mais avec seulement un camarade d'évasion … et une boussole.
A la lecture de ce deuxième tome – car j'imagine qu'il y en aura un troisième – je mesure combien mon père a eu le nez creux de fausser compagnie, lui aussi à pied et prenant sans cesse garde d'être découvert sur les routes allemandes encore euphoriques, à ses camarades de captivité.
Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag IIB, mon retour en France, BD chez Casterman, 142 p. 25€