Philippe Lamour, Les hauts pays, 1982.
Je ne sais pas quoi vous dire de ce livre. Moi qui suis d'habitude si volubile en terme de critique littéraire, qui m'emballe pour un rien et qui aime à vous faire partager ce que je lis, là, je ne sais pas quoi vous dire.
Comment ce bouquin est tombé entre mes mains ? J'étais dans l'ancien cloître de l'abbaye de la Prée, je fouinais dans les rayonnages et, entre un paroissien de Séez datant du XIXème siècle et un manuel du petit montagnard, j'ai sorti ce volume de l'étagère. Tiens, une histoire sur la montagne. Tiens, des personnages. Bon, vignette jaune, 1 euro, qu'est-ce que je risque ?
Comment ce livre ne m'est pas tombé des mains ? Il n'est pas passionnant, les personnages sont décrits "à l'ancienne", le style n'est pas enchanteur. On est dans les Hautes Alpes, près de la frontière italienne, rien à signaler de transcendant. Dans les Alpes, dites-vous ? Près de la frontière italienne ? Voilà ce qui m'a amenée à tourner la dernière page sans trop peiner. Je n'en garde pas un grand souvenir. Je ne le qualifierai pas de fresque mémorable.
Cependant... L'histoire, où les courtes histoires qui ont pour cadre les environs du village de Ceillac donc Philippe Lamour a été maire pendant 18 ans, se passent à l'aube des années 60, alors que le tourisme ne fait que balbutier dans la région et que les habitants vivent encore dans un dénuement qui ressemble fort à de la pauvreté. Ils n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent, dorment encore avec les vaches pour se réchauffer. Pendant ce temps-là, en Haute Savoie, ou dans d'autres régions, bien avant cela d'ailleurs (voir le périple Suisse de Jemima Morrell au XIXème), les étrangers viennent en masse, le tourisme, l'alpinisme, le ski, la randonnée sont en pleine bourre. Plus au sud, on n'en est pas du tout là.
En discutant avec un grand voyageur qui connaît sa France mieux que sa poche, j'ai fait un bon de moins de 10 ans, pour me retrouver, dans le même coin, vers Barcelonnette, au tout début des années 70 : les choses n'avaient pas beaucoup évolué. Les fermes étaient encore reculées, les enfants revenaient encore de l'école à pied et le paysan n'avait pas grand chose à offrir aux visiteurs. Eux, qui n'avaient rien mangé depuis la Touraine et qui venaient de se farcir presque 10 heures de route (les autoroutes étaient encore à l'état science fictionnel) pour livrer des poulaillers modernes, ont écarquillé l'estomac en voyant le paysan déballer son pain et ses tranches de saucisson. Manque de pot, c'était le goûter des écoliers. Le strict minimum, rien de prévu pour l'étranger de passage.
Remarquez, dans la Creuse, l'année d'après, vers 1972, les gens n'étaient pas bien riches non plus. Les mêmes voyageurs, descendant de leur camion, avaient été frappés par deux images : la vieille qui revenait des champs avait attrapé une extrémité de son tablier et l'avait habilement fourrée dans la poche opposée. Pour cacher la crasse. La jeune fille, qui faisait ses études à Guéret, en les voyant arriver, s'était empressée d'aller se cacher dans la maison. Elle était mieux habillée que ses parents. On sentait qu'elle venait déjà de la ville. Elle avait honte, sans doute.
Certains livres n'ont d'intérêt que parce que, en parlant d'eux, on amène d'autres interlocuteurs à fouiller dans leurs souvenirs. Quand se croisent les vies littéraires et les vraies vies.