La nouvelle m’est tombée dessus comme une tonne de briques. Vendredi à midi quinze, l’ami et collègue Benoît Mercier me contacte par la messagerie de Facebook pour m’annoncer que l’émission était retirée de la programmation de MusiquePlus.
— M. Net est mort. Tu as vu la nouvelle? On ne revient pas en janvier.
— Non! Je n’étais pas au courant. T’as la confirmation de qui?
— Denis sur Twitter. Il vient de l’annoncer.
C’est donc ainsi que j’ai appris la triste fin de M. Net. Denis Talbot venait en effet de tweeter que l’émission ne revenait pas en janvier et que, conséquemment, il se cherchait un emploi.
C’était ça aussi M. Net : une joaillerie qui prenait des gemmes brutes pour les polir et les faire briller. Pour cela, je ne peux que remercier Denis. On mesure très mal l’impact que le Grand Talbot a eu sur les médias québécois.
Absorbé par tout ce que je lisais sur les réseaux sociaux, j’attendais la confirmation de la part de V Médias. Cela faisait quand même 6 ans que j’étais pigiste pour M. Net. J’ai toujours compris mon rôle d’employé précaire : on pouvait me mettre à la porte en tout temps. Je me suis tout de même dit que 6 ans de services mériteraient un mot de la part des patrons me disant que je devrais faire un deuil de M. Net. Alors que j’écris ces lignes, c’est toujours le silence radio.
Le principal touché par cette décision est évidemment Denis Talbot, qui a été à la barre de l’émission pendant 16 ans et animateur à MusiquePlus pendant 25 ans. Je ne pouvais faire autrement que de penser à Denis. Denis est celui qui m’a donné ma chance à la télévision. Mon mentor est devenu avec les années un ami.
Dieu seul sait qu’il en a pris des risques le Denis. Beaucoup de chroniqueurs de M. Net sont des gens qui sont apparus dans le spectre médiatique québécois alors même qu’ils n’avaient aucune expérience dans le domaine. C’était ça aussi M. Net : une joaillerie qui prenait des gemmes brutes pour les polir et les faire briller. Pour cela, je ne peux que remercier Denis. On mesure très mal l’impact que le Grand Talbot a eu sur les médias québécois. C’est triste de le voir ainsi partir.
Certes, l’émission n’avait plus la marge de manœuvre qu’elle a déjà eue. Les sorties avec caméras étaient rendues quasi impossibles. Seul le E3 était couvert, faute d’argent essentiellement. Oui, les budgets n’étaient pas considérables, mais cela ne nous dérangeait guère, parce que ce qui nous animait, c’était la passion. Nous sommes tous des maniaques de technologies, et nous en mangeons, autant dans le show qu’à l’extérieur du show.
Benoît Mercier, Benoît Gagnon, Denis Talbot, André-Anne Babin et François Lapierre-Messier (Photo : Instagram).
Mise à pied difficile donc. Pour tout le monde. Tant pour les artisans derrières la caméra que pour ceux devant.
Vendredi dernier fut une journée d’enfer qui restera marquée dans leur esprit pour toujours. D’autant plus que la décision en laisse plusieurs perplexes, car peu de réponses sont données. Personne ne semblait dire que l’émission était une catastrophe. Si c’était le cas, le tout n’est jamais descendu à mes oreilles. D’autant plus que des émissions de télévision dédiées aux technologies, il n’y en a pas des masses; on se serait attendu que cette position de quasi-monopole soit enviable. De toute évidence, il n’en est rien.
Au-delà du drame des employés
Oui, M. Net, c’était de l’infotainment : une émission fournissant à la fois de l’information et du divertissement. Mais c’était probablement la meilleure façon de faire passer ce genre de contenu qui était vu comme étant grandement aride pour plusieurs.
Si la fin de M. Net est un drame pour les personnes qui travaillaient pour l’émission, c’est aussi un coup dur pour la couverture technologique au Québec. Pourtant, le domaine regorge de questions importantes qui méritent d’être abordées. De plus, c’est un secteur qui nécessite un regard critique et informé.
Parce que, on va se dire les affaires, le monde des technologies est important. C’est non seulement une locomotive économique (les États-Unis dépendent de ce secteur depuis un bon moment déjà), mais, qu’on le veuille ou non, il gouverne maintenant notre existence. Votre vie est maintenant gérée par des ordinateurs, et votre mort risque de l’être également. Entre les deux, c’est toute la société qui devient de plus en plus dépendante d’un secteur qui, paradoxalement, est ignoré par les médias contemporains, principalement au Québec.
Et puis, s’il y a une chose que l’on doit retenir des révélations faites par Edward Snowden, c’est bien que si le public ne se questionne pas sur les technologies, s’il ne s’intéresse pas aux dossiers tournant autour du numérique, il y aura nécessairement des abus. Quand je vois la question des dépassements de coûts de l’informatique dans le secteur public, je me dis que le manque d’intérêt des médias par rapport à ces questions doit être, en partie du moins, responsable de ce genre de dérapage.
Avertir le public, le tenir informé et au courant, maintenir la critique, c’est aussi ça le rôle de la télévision. Je n’ai personnellement pas vu d’autres émissions de télévision qui ont décortiqué la faille Heartbleed pour vulgariser aux gens l’impact que cela avait sur eux. M. Net l’a fait, question que le public comprenne bien ce qui se passe, sans pour autant entrer dans du jargon technique.
Dans la même veine, le fait que M. Net fasse des critiques de jeux vidéo était une façon pour que le public puisse consommer de manière avertie. Des jeux vidéo, ce n’est pas ce qui manque sur le marché. Quand vous avez un budget limité, c’est intéressant de dépenser vos sous pour quelque chose que vous ne regretterez pas.
M. Net a aussi été un endroit permettant aux petites entreprises québécoises de venir présenter leurs produits, et ce, dans l’optique de se faire connaître. Je me souviens que l’année dernière, nous avions eu en studio les représentants de PasswordBox. Pas plus tard que ce matin, on apprenait que la boîte venait d’être achetée par Intel. Sans pour autant être tributaire du succès de l’entreprise, M. Net aura à tout le moins aidé au succès de l’entreprise.
Oui, M. Net, c’était de l’infotainment, soit une émission fournissant à la fois de l’information et du divertissement. Mais c’était probablement la meilleure façon de faire passer ce genre de contenu qui était vue comme étant grandement aride pour plusieurs.
Une vision plus personnelle de la chose
Pour ma part, cela vient probablement de mettre fin à ma carrière télévisuelle. Je ne me leurrerai pas : je n’ai pas le genre d’expertise qui plaira à des producteurs d’émissions de télévision, surtout sachant que les émissions traitant des technologies sont pour ainsi dire presque disparues. En plus, je n’ai pas la bouille d’un candidat d’Occupation Double.
Bref, on verra ce que l’avenir réserve, mais je ne me fais pas d’illusion. En attendant, je demeure toujours dans l’expectative de recevoir signe de vie de la part de V Médias; une lettre, un courriel, ou un coup de téléphone qui me confirmera que je ne suis officiellement plus à leur emploi.