Après le mélancolique et pourtant dynamisant Another Year, le cinéaste britannique Mike Leigh brosse le portrait du célèbre artiste peintre J.M.W. Turner dans son nouveau film, récompensé à Cannes par le prix d’interprétation masculine.
S’attaquer au biopic n’est pas chose évidente. D’une part, il est quasiment indispensable de rester le plus fidèle à la réalité, et d’autre part, il faut rendre l’exercice intéressant, utile, ou captivant. Habitué des portraits de la vie quotidienne et de la captation des sentiments, toutes les cartes étaient dans les mains de Mike Leigh pour transposer en images vingt-cinq ans de la vie du peintre impressionniste J.M.W. Turner, confronté durant son existence à des drames personnels (le décès d’un père dont il était proche, la perte d’un enfant, les affres d’une vie sentimentale désastreuse) et à son art.
Après Secrets et mensonges (justement couronné d’une Palme d’or à Cannes), Topsy-Turvy et All or nothing, Timothy Spall tourne à nouveau sous la direction de Mike Leigh, incarnant le rôle-phare du film. Les rôles centrés sur des personnages réels sont souvent à la base de belles interprétations, de belles surprises, mais s’avèrent également être particulièrement casse-gueule. Difficile donc de savoir rester juste et fidèle à son personnage, tout en transmettant les émotions que le personnage est censé susciter chez le spectateur. Mais Timothy Spall tire parfaitement son épingle du jeu, en offrant une prestation de qualité, toute en nuance, équilibrée entre la face ronchonne de Turner et son côté attachant, un peu vieil ours. Cette incarnation, permettra à l’acteur de remporter le prix de la meilleur interprétation masculine au dernier Festival de Cannes.
Le Dernier Voyage du Téméraire, une toile du peintre J.M.W. Turner
Quant à Mike Leigh, il a réussi, comme toujours, à peindre les émotions les plus enfouies, celles qu’on aurait crues indescriptibles ou impossibles à mettre en scène, et ce avec un bel équilibre : l’amertume dégagée est largement compensée par quelques pointes d’humour. Et comme souvent chez le cinéaste, il plane une douce odeur de mélancolie. Le seul bémol est peut-être la durée du film (2h29mn), que nous aurions aimé un peu plus courte afin d’éviter quelques longueurs.
Mais le contenu n’en est pas moins intéressant. Par exemple la magnifique photographie de Dick Pope – fidèle directeur de la photo du cinéaste – qui sert allègrement le film par la beauté de ses compositions et de ses couleurs. La lumière est étudiée pour épouser les exigences artistiques des toiles du maître.
Malgré le noir qu’il broie, Turner, inspiré, jette son fardeau sur ses pinceaux, comme si le calvaire de la vie lui servait de carburant. Peindre des paysages clairs, ou sombres, menaçants ou apaisants, des peintures aujourd’hui exposées dans les musées et qui ont élevé Turner au rang de maître impressionniste et paysagiste, alors qu’à leur conception il baignait dans un flot d’idées noires et de morosité. C’est ce qui poussera Timothy Spall à déclarer en conférence de presse cannoise : « Le génie ne vient pas forcément dans un bel emballage ».
Timothy Spall, dans la peau du peintre J.M.W. Turner, récompensé par le prix d’interprétation masculine à Cannes (2014)
C’est aussi la rencontre entre l’artiste, son œuvre et le spectateur, qui est exposé par Mr. Turner. Un artiste qui, malgré le peu de communication qu’il tient avec le monde et son propre orgueil, cherche également un moyen de communication avec un public – essentiellement bourgeois – souvent rongé par l’orgueil et les manières, ou bien parfois trop acide lorsque l’incompréhension le submerge.
Enfin, Mike Leigh rappelle l’importance, voire la nécessité, des sentiments affectifs dans la vie d’un homme au travers des relations qui se tressent entre Turner et la propriétaire d’une pension de famille en bord de mer, Mrs Booth. Elle devient alors progressivement un soutien moral pour le peintre, un piédestal ou plutôt une béquille à ses défauts, son imperfection, qui contraste et fait la part entre le génie et l’homme, mortel.
Si donc s’attaquer au biopic n’est pas chose évidente, l’œuvre de Mike Leigh est d’autant plus louable car bien plus que de mettre en lumière la vie d’un talentueux peintre, ou d’un génie, elle capte avant tout, avec sensibilité et douceur, l’aspect universel de la vie, tout simplement.