30 novembre 2014 | Par Emile Lanoë http://blogs.mediapart.fr/edition/educateurs-prioritaires/article/301114/exclus-des-rep-les-reseaux-de-la-colere
Depuis plusieurs semaines, la liste des établissements classés prioritaires est progressivement dévoilée. Le ministère a fait le choix de tout remettre à plat: certains entrent, certains restent, et d'autres sont en colère! C'est à Najat Vallaud-Belkacem que revient la lourde tâche de faire sortir des établissements de l'éducation prioritaire. Le symbole est fort pour une jeune ministre ayant elle-même bénéficié d'un encadrement renforcé et de classes à effectifs réduits lors de son passage au collège, dans la banlieue d'Amiens. La fébrilité du ministère est palpable.
#touchepasàmaZEP
C'est une logique de financement par redéploiement qui est à l'œuvre avec la refonte de la carte de l'éducation prioritaire. De nombreux établissements des réseaux d'éducation prioritaire nouvellement exclus ou en passe de l'être sont mobilisés aux quatre coins de la France depuis plusieurs semaines (ici et là). Ils ne demandent pas la lune, dans un pays où l'entre soi est de plus en plus la norme, ils souhaitent simplement continuer à fonctionner avec leurs petits moyens, continuer à pouvoir spécifiquement aider leurs élèves en difficultés encore trop nombreux dans leurs classes. Sans considération pour la fragilité des équilibres patiemment construits, nos décideurs estiment que ces établissements ont « réussi leur mixité » et qu'ils « méritent » donc de sortir de l'éducation prioritaire.
Parents d'élèves et enseignants concernés protestent massivement dans une unité rarement observée. Face à eux, les interlocuteurs institutionnels leur assurent -comme prévu- que la sortie de l'éducation prioritaire sera indolore (voir ici)
Lorsque les délégations sont reçues par les autorités compétentes, le grand marchandage commence. Ici, on promet le maintien des indemnités pour les enseignants pour 3 ans, là on garantit des effectifs inférieurs à 25 pour 1 an ou plus ou au contraire on prévient que les effectifs ne seront plus limités dès la rentrée 2015.
« Vous allez sortir de l'éducation prioritaire, mais ça ne va rien changer »
Sentant le danger monter, la ministre a multiplié les annonces ces derniers jours et investi toute son énergie pour faire passer le sens de sa réforme et les éléments de langage qui vont avec. Elle écrit qu'elle va mettre en place des CAPE (« conventions académiques de priorité éducative » (voir ici) qui, couplées à « l’allocation progressive des moyens » (voir ici ), permettraient de maintenir les dispositifs et moyens attachés à l’éducation prioritaire. Elle va même jusqu'à mépriser parents et enseignants mobilisés en affirmant sur son site que :« L’alternative ne sera plus entre être ou ne pas être en éducation prioritaire car, à côté de ces réseaux d’éducation prioritaire{...} nous veillerons à ce que chaque établissement se voit doté finement » (voir ici). Mais elle oublie de dire que cette affectation progressive des moyens existe depuis toujours, tous les membres des conseils d'administration d'établissements le savent (c'est le ratio heures/élèves).
Quoi qu'il en soit, exclure un nombre non négligeable d'établissements de l'éducation prioritaire tout en leur garantissant un maintien des moyens est pour le moins questionnant. Pourquoi les sortir si c'est pour y maintenir les moyens? Pour le plaisir de faire perdre des jours de classe aux élèves et des journées de salaire aux enseignants? Cette situation ressemble à s'y méprendre à celle vécue lors de la réforme des rythmes scolaires. L'État promet dans un premier temps de financer la transition pour une période donnée avant d'être contraint par la fronde des élus au rétropédalage. Manuel Valls a dû finalement garantir la pérennisation des « fonds d'accompagnement » du périscolaire devant l'association des maires de France.
Mais dans le cas de la réforme de la carte de l'éducation prioritaire, deux différences existent et expliquent que le ministère campe pour le moment sur ses positions : seule 10% de l'éducation prioritaire est concernée par des sorties, soit 2% des effectifs élèves de l'éducation nationale (une centaine de collèges et quelques 600 écoles, à terme). La mobilisation des collectifs parents-enseignants-élus ne peut donc pas atteindre les niveaux exceptionnels observés lors de la contestation des nouveaux rythmes scolaires.
Autre différence notable, la réforme se faisant à moyens constants selon un principe de redéploiement, le gouvernement crée autant de réseaux qu'il en supprime. Les recteurs ne manquent d'ailleurs pas de le souligner, en particulier lorsque le différentiel entrées/sorties est positif pour leur académie (voir ici pour Lille). La réforme fait donc aussi des heureux, parfois même à quelques centaines de mètres des malheureux exclus (voir ici).
ZEP' pas envie de sortir
Mais sur le fond, comment ne pas comprendre les plaignants? Qui accepterait de voir son salaire baisser (les enseignants perdraient leurs 100 euros de prime éducation prioritaire d'ici trois ans) et ses conditions de travail se détériorer dans le même temps? Pour les parents, quels avantages y aurait-il à continuer à jouer le jeu de l'établissement de secteur si les classes voient bondir leurs effectifs dès l'année prochaine?
Le gouvernement a beau jeu de promettre le réexamen de la carte des REP tous les quatre ans alors qu'il ne sera peut-être plus là pour constater que ces déclassés doivent d'urgence être reclassés.
Diviser pour mieux réformer
Pour répondre à ce défi, les collaborateurs de la ministre ont mis au point une stratégie qui consiste à éviter l'effet de masse. L'échelonnement et le calendrier des annonces des sorties n'ont pas été faits au hasard. L'académie de Paris, la moins défendable du point de vue de la rue de Grenelle lorsque l'on parle d'éducation prioritaire, a évidemment ouvert le bal. Le niveau de résistance a cependant largement dépassé les prévisions. La mobilisation se poursuit d'ailleurs dans un certain nombre d'établissements qui souhaitent intégrer les REP (voir ici rue de Belleville ) ou ne pas en sortir (là l'école Pouchet). Comment s'en étonner d'ailleurs, la maternelle Pouchet compte 30 % d'enfants mal logés. Pour les collèges de Paris, le ministère et l'académie sont contraints par leur logique « d'enveloppe fermée » : le nombre d'établissements a été fixé à l'avance. Ainsi, dans un premier temps, le collège Budé de la place des fêtes ne figurait pas sur la liste. Mais, face à la mobilisation, l'académie a fait le choix de le réintégrer aux dépends du collège L. Faure.
Échaudé par le cas parisien, le ministère a certainement accéléré le mouvement et, stratégiquement, ce sont d'abord les académies de Créteil et de Lille qui ont appris la liste des nouveaux élus, histoire de faire oublier la mobilisation parisienne. Double avantage, ces académies affichent des bilans largement positifs, ce qui contre-balance la situation parisienne, et surtout elles sont notoirement identifiées comme nécessiteuses. Mais là encore, « rien ne se passe comme prévu ». Même dans ces académies « gâtées », la révolte des exclus dépasse les pires prévisions (voir ici ). En Seine et Marne, dans l'académie de Créteil, 10 établissements sont exclus et sont en ébullition compte tenu de l'hémorragie (voir ici). Le redéploiement devait se faire au profit du 93. Mais justement, en Seine-Saint-Denis, 4 des 5 établissements exclus sont mobilisés depuis maintenant plus d'une semaine. A Gustave Courbet (Romainville), les enseignants dorment dans le collège qui est par ailleurs bloqué par les parents (voir ici) . Au collège Paul Eluard de Montreuil et dans les écoles du secteur, les grèves sont suivies à 100% et sont relayées par les parents qui bloquent les entrées depuis mercredi (voir pétition en ligne ici). Une pétition commune a été lancée pour exiger qu'aucun établissement du département le plus pauvre de France ne sorte de l'éducation prioritaire (voir ici).
On commence donc par les « nantis », on enchaine avec les plus défavorisés et on terminera avec les académies comptant le plus de sorties, et ceci à quelques jours des vacances de Noël, le 15 décembre précisément.
Ce calendrier échelonne donc à dessein annonces et mouvements de protestations. Les médias nationaux, assez attentifs au moment où l'académie de Paris était sur le grill, sont désormais en difficulté pour traiter le sujet et de fait ils le laissent à la presse et aux chaines régionales (voir ici la situation du collège Rivière de Hyères et le sujet)
Il y a bientôt un an, le 9 décembre 2013, les enseignants des classes préparatoires aux grandes écoles avaient massivement fait grève après les déclarations de Vincent Peillon qui avait insisté sur leur statut privilégié. Le projet était alors de leur prendre des moyens pour les allouer aux ZEP. Ce dernier affirmait alors : « Je dis aux professeurs des classes préparatoires – qui ont beaucoup de mérite, les professeurs de zones d’éducation prioritaire en ont aussi ». La stratégie de déshabiller Pierre pour habiller Paul s'était alors soldée par un échec après ...1 jour de grève (voir ici ). Y aurait-il désormais davantage de pertinence, comme semble le penser le ministère de l'éducation nationale, à « prendre aux pauvres pour donner aux pauvres » en dépouillant certains établissements de quartiers majoritairement populaires?
Lien: https://www.facebook.com/pages/Maintien-du-R%C3%A9seau-Education-Prioritaire-du-Bas-Montreuil/1587156408162597