Le 28 octobre dernier, dans le journal américain The Atlantic, un membre de l’administration Obama (qui a voulu rester anonyme) a traité le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, de « chickenshit ».
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L’insulte est immédiatement relayée par les médias israéliens, qui s’interrogent sur la signification de ce mot, et donc sur sa portée diplomatique.
Comme toutes les insultes, « chickenshit » est délicate à traduire. Il y a deux raisons à cela : la première, c’est que l’insulte est déjà soumise à diverses interprétations, culturelles et sociales, dans sa langue d’origine, et la seconde, c’est que dans sa traduction, l’insulte peut, pour des raisons de pudeur ou de bienséance, se substituer à une autre, réputée moins crue ou moins violente. Avec cette constante, si les compliments ne sont pas toujours sincères, les insultes le sont immanquablement.
Dans le journal Israel Hayom, le plus gros tirage de la presse israélienne, « chickenshit » a été traduit par « terme d’argot péjoratif signifiant lâche ». Dans la plupart des médias, le mot a été laissé tel quel (l’hébreu moderne utilise de nombreux anglicismes), accompagné d’une définition. « Lâche » ou « lâche pathétique » sont celles qui reviennent le plus souvent.
Dans l’excellent urban dictionnary, dictionnaire argotique anglophone, on apprend que « chickenshit » est emprunté à l’argot militaire. Ce terme utilisé par les troupes américaines lors de la Seconde Guerre mondiale désignait un ordre imbécile, inutile et dangereux. Il est employé à la fois comme nom commun et comme adjectif. Il s’agit en fait d’un « mot-valise », la contraction de « chicken » et de « bullshit ». « Chicken » fonctionne comme une épithète. Les quatre dernières lettres servent à lui donner davantage de puissance.
La vénérable BBC y va de son gentillet « Get lost then you bloody idiot » tandis que le fil AFP en anglais préfère « Get lost, you stupid bastard », plus direct.
Prenons un exemple en français. Quelle différence y a-t-il entre « con » et « pauvre con » ? Le sens est a priori le même, avec une nuance que chacun appréciera. En 2008, après le cultissime « Casse toi pauvre con ! » de Nicolas Sarkozy, la presse internationale s’était employée à traduire au plus près ces paroles présidentielles. Le journal Le Monde s’était à l’époque amusé à compiler les différentes versions et avait noté qu’elles étaient plus ou moins soft, selon qu’il s’agisse d’un journal conservateur ou d’un organe de presse plus moderne, plus « open-minded », comme disent les Anglo-Saxons.Ainsi, la vénérable BBC y va de son gentillet « Get lost then you bloody idiot », tandis que le fil AFP en anglais préfère « Get lost, you stupid bastard », plus direct. Idem chez les Allemands, où «pauvre con » se traduit « armseliger Dummkopf » (misérable crétin) dans Die Welt, alors qu’il devient un simple « Blödmann » (connard) dans le Tagesspiegel.
Pour trouver un calque linguistique au « Casse-toi pauvre con » original, il faut se tourner vers l’italien ou l’espagnol, nos cousines latines. « Vai via, povero coglione ! » proposé par La Stampa ou le « Rajá, pobre pelotudo » du journal argentin Clarin, témoignent d’une traduction au plus juste.
Reste enfin le cas du « Casse-toi pauvre con » en polonais. Cela se dit « Spieprzaj dziadu ! » et les Polonais connaissent bien l’expression. Elle a été prononcée en 2002 par Lech Kaczynski, alors maire de Varsovie, à l’encontre d’un badaud, des mots grossiers relayés par la télévision. A l’époque, Internet n’existait pas ou presque et ce genre d’incident avait un retentissement uniquement national.
Aujourd’hui, avec l’avènement du buzz, l’insulte est sortie de son contexte environnemental. Or, son utilisation est très souvent dictée par une émotion. Si on voulait pousser le raisonnement jusqu’au bout, une insulte a autant de définitions que de locuteurs. Chacun y met le sens qu’il souhaite. Celui qui la profère au même titre que celui qui l’entend.