«Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné.»
Ainsi s'exprimait l'architecte Eugène Viollet-le-Duc (1814 – 1879) qui sauva le patrimoine médiéval français alors qu'une grande partie de ces monuments – qualifiés de « gothiques », terme éminemment péjoratif – continuait à servir de carrières de pierres ouvertes au tout venant.
Quand nous étions plus jeunes, il convenait de brocarder l’œuvre de cet artiste majeur du XIXème siècle : il en aurait « trop fait » en ajoutant une flèche à la Sainte Chapelle ou à Notre-Dame de Paris, en édifiant à sa fantaisie le château de Pierrefonds …
Aujourd'hui, loin de ces controverses stériles, on mesure mieux l'apport de ce génie hyperactif et surtout sa démarche cohérente issue de ses convictions réalistes et positivistes, de son extraordinaire capacité d'observation et d'anticipation, d'un savoir encyclopédique qui ne demandait qu'à être diffusé.
Ce qui frappe dans l'art de Viollet-le-Duc, c'est sa vision, une manière personnelle de réinventer les formes pour restaurer les monuments tels qu'ils auraient dû être, comme des images subliminales d'un Moyen-Âge idéalisé. A preuve cette maquette de cathédrale idéale, jamais réalisée car le temps passant les manières de construire et les styles évoluent … Mais on pense immédiatement à la Sagrada Famiglia de Barcelone. Ou encore, sa vision scientifique de l'évolution du massif du Mont Blanc à travers les ères géologiques … comme un monument évolue lui aussi dans le temps. Pour lui, l'architecture gothique est comparable aux formations géologiques montagneuses par le processus de cristallisation. La logique constructive découle non pas d'un défi technique mais d'un ordre naturel.
Trente années durant, il collabore avec Prosper Mérimée, Inspecteur des Monuments historiques, sillonnant l'Europe entière et parcourant sans relache les sites en périls. On lit avec émotion le journal des travaux et les comptes de la restauration de la Sainte Chapelle et de Notre Dame comme ses impressions de voyages, non dénuées d'humour.
Il y a sans doute un paradoxe à regarder ces grands objets de culte redessinés au XIXème siècle dans ce style "troubadour" tellement prisé par l'élite romantique et, cependant, considérer aujourd'hui qu'Eugène Viollet-le-Duc est bien un précurseur de l'architecture moderne, l'initiateur de l'Art Nouveau, l'inspirateur des grands architectes complets (bâtiments, décoration, ameublement, objets d'art …) comme Gaudi, Horta, Guimard, Sauvage, Sullivan, Franck Lloyd Wright …Une exposition à voir pour la précision fantastique des dessins préparatoires à la réalisation des chantiers, la richesse des couleurs, l'élégance des formes, l'inbrication fabuleuse entre beauté formelle et faisabilité technique.
Viollet-le-Duc, les visions d'un architecte, exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine - jusqu'au 9 mars, Palais de Chaillot, sauf le mardi, 9€