Quand Mondocine m’a dit : tu veux faire la table ronde de Guillaume Gallienne pour Paddington ? J’ai dit un grand oui tout de suite ! J’adore ce qu’il fait et ce qu’il est, en tant que comédien et en tant que personne. Il s’est attardé une bonne trentaine de minutes pour répondre à nos questions sur le doublage du petit ours qu’est Paddington. Sinon, n’hésitez pas à retrouver ma critique de Paddington.
Comment avez-vous doublé Paddington par rapport à Mr. Peabody ? Quel a été le changement d’expérience ?
Guillaume Gallienne : Bon, ce n’est pas le même film. L’un est un cartoon et l’autre ne l’est pas. Après, je n’ai pas maquillé ma voix, que ça soit dans l’un ou dans l’autre, j’ai déjà fait des choses où je maquillais plus ma voix, comme Sammy ou U, Lasare le Lézard dans U, c’est vrai que la voix était plus maquillée disons. Ce sont des personnages très différents, donc ça change le jeu, Peabody est un papa, son souci, c’est la responsabilité, il est même un peu trop coincé là-dessus au début, alors que Paddington est un enfant. Un enfant de quel âge, on ne sait pas, il pourrait avoir 8 ans, comme il pourrait en avoir 12 ou 13, on ne sait pas trop. Et puis le moteur de Paddington, c’est vraiment la naïveté, mais la naïveté, ni infantilisée, ni… ce n’est pas un crétin : il est intrépide, il est insolent, pas insolent, pas tellement, plus intrépide. Mais c’est une vraie naïveté, il est en découverte de tout, même d’émotions graves voire tristes, il les découvre à chaque fois. Ça surprend, souvent avec pudeur, mais toujours avec beaucoup de courage : à chaque fois il rebondit, il y va, il constate les choses, il encaisse, mais il y va. Ce que je trouve très bien fait dans le film, c’est que si les enfants devaient s’identifier à lui, je trouve ça juste, car il peut avoir des moments de gravité comme les enfants peuvent avoir. Ça, je trouve ça très très bien fait. Et ses moments drôles ne sont pas forcément dans des mises en scène hyper efficaces. Il se trouve que c’est drôle, mais ce n’est pas schématique. Je trouve ça souvent plus poétique, le film est très poétique. L’autre chose, c’est que moi je connaissais les livres enfant, parce que j’avais une nanny anglaise qui me les a fait lire ou qui me les a lus d’ailleurs, c’était en anglais. Ce que je trouve très bien rendu dans le film, c’est que les deux raisons pour lesquelles Michael Bond a écrit cette histoire au début en 1956, c’était pour 1. Le fait qu’il a été traumatisé par les enfants orphelins, pendant la guerre et après-guerre, qui étaient là avec une étiquette autour du cou. Il a été traumatisé par cette image et par le racisme qu’il y avait à Londres dans les années 50, où il y avait des noirs qui n’avaient pas le droit de rentrer dans des restaurants ou des choses comme ça. Et je trouve que ces deux choses-là sont extrêmement bien rendues dans le film avec beaucoup de subtilité. C’est un film aussi sur le racisme, l’acceptation de l’étranger malgré ou finalement grâce à ses différences, et on voit qu’il y a quelque chose de l’ordre de « sans famille », de Dickens, la première image dans la gare où il est pile à un endroit où c’est marqué « Lost and Found » (perdu et trouvé*). Voilà. Dans les objets trouvés. Il y a quelque chose de touchant comme ça, de très touchant, moi j’ai versé ma larme plusieurs fois en le faisant. Donc voilà, c’est vrai que là, ce n’est pas cartoon, que les personnages en face sont Hugh Bonneville, Nicole Kidman, Julie Walters. D’ailleurs, l’acteur anglais qui fait la voix anglaise, ne maquille pas du tout sa voix non plus.
S’il y avait une suite à Paddington, est-ce que vous aimeriez avoir un rôle physique ? Et si oui, quel type ?
G.G. : Ah bah non, parce que je serais la voix de Paddington, bah je vais continuer de faire la voix de Paddington !
Ah oui, mais vous parlez anglais, vous pouvez…
G.G. : Non, maintenant jouer en anglais, volontiers, je l’ai déjà fait, j’adore le faire donc, jouer an anglais, volontiers, mais Paddington, là, non quand même. Maintenant quel est mon personnage préféré dans Paddington, ça je peux vous répondre. Je pense que c’est quand même Mister Brown. D’abord, j’adore cet acteur, je n’ai aucune envie de le remplacer, il est génial. J’aime beaucoup ce personnage, car il évolue beaucoup, au départ il est quand même assez hostile et il arrive à demeurer sympathique alors qu’il tient des propos au départ qui sont carrément limites. Ouais, il est dur, il n’est pas du tout généreux au début. Il évolue bien.
Quel regard portez-vous sur le film en tant que réalisateur et comédien ?
G.G. : Je trouve que le film est extrêmement bien réalisé, parce qu’il est très délicat, et poétique, jamais schématique comme je le disais tout à l’heure. Même la scène de travestissement avec Hugh Bonneville, c’était étonnant comment c’est traité. Je trouve ça très intelligent. C’est rare le travestissement traité comme ça. Nicole Kidman m’a bluffé, parce que je trouve qu’elle a choppé un truc. Elle est d’une sincérité dans son rôle et en même temps, le décalage par rapport à l’univers, à Paddington, ça s’adresse aussi à des gamins de 5 ans, je trouve qu’elle le tient. Je ne sais pas comment elle fait. Ne pas voir les ficelles et de dire : elle fait comment, car elle est tout le temps sincère, elle est même presque touchante, on sent une femme meurtrie, une petite fille meurtrie, qui a été humiliée enfant. Elle ne grossit pas tellement les choses avec le voisin épouvantable. Je trouve qu’elle ne grossit pas tellement, c’est sur un fil et le fait qu’elle ait accepté de terminer en se prenant une remorque entière de fumier sur la tête, alors ça, mais chapeau ! Non, mais la classe ! Elle est étonnante. Et puis le rythme, la lenteur, ce chemin-là quoi, elle trace une route qui termine sous le fumier quand même. Non, mais qui s’adapte je trouve au passage qui est limite Mission : Impossible à… ouais, je la trouve vraiment… Et puis j’adore Julie Walters, mais je crois que Julie Walters, elle pourrait lire le bottin que je trouverais ça bien, depuis L’éducation de Rita je suis fan de cette actrice. Là aussi, c’est génial, la scène de beuverie avec l’agent de sécurité. Mais ça aussi, c’est la puissance de jeu, de ces acteurs-là, qui jouent très sérieusement des scènes, qui ne perdent jamais la crédibilité, jamais même en poussant le curseur. Mais ça ne se réduit jamais à une grimace, « it’s never une attitude », c’est toujours un état. Et toujours avec un brin de fantaisie.
Après tous les doublages que vous avez pu faire (Peabody, Paddington, Sammy), est-ce que vous avez acquis une forme d’aisance au doublage – même si c’est plus simple que le jeu d’acteur – est-ce que vous avez pris une certaine méthode ?
G.G. : Ce n’est pas une méthode, mais disons que je n’ai jamais été impressionné par la bande rythmo. J’ai choppé le truc d’entrée. Mais je fais ça aussi avec le serpent dans la série Le petit Prince et je fais ça aussi toutes les semaines à France Inter, je n’ai pas de bande rythmo, mais le rapport en tout cas, à dire le texte et être face à un micro, à juste dire, sans public présent, je le fais toutes les semaines à France Inter et ça ne peut pas faire de mal, ça fait 5 ans et demi que l’émission existe. J’aime ça, j’aime plonger, sans décider auparavant. D’ailleurs à France Inter, je ne lis jamais les textes avant. C’est souvent des textes que j’ai lu il y a longtemps dont je me souviens, et encore, après 5 ans, je n’ai pas tout lu. Mais je ne lis jamais avant, je ne travaille jamais le texte avant. De même en synchro, j’écoute une fois la scène en anglais, parce qu’elle existe en anglais, mais je l’écoute une fois, mais je n’essaie pas d’imiter ce que fait l’acteur anglais, je retiens l’information dramaturgique qui est donnée, après je plonge. Parce que c’est ce qui m’amuse, c’est ce qui rend la chose créative, sinon ça serait ennuyeux. Que ce soit à la radio ou en studio de doublage, on n’a pas peur de se planter, parce que si on se plante, pas grave. Mais je ne fais pas tellement de prises, c’est une sorte d’énergie. En plus je retiens très vite le texte, je le retiens presque malgré moi, donc je suis plus sur l’image, je suis autant sur l’image que sur la bande rythmo. Mais c’est un rôle physique, on est derrière un petit bar, derrière un micro dans une cabine, mais sur place, vous bougez beaucoup. Paddington, il y a beaucoup de moments où quand même il court, il marche, il se casse la gueule, il bouffe, donc fallait que ce soit vécu pour que ça passe, ça colle à l’image.
Est-ce que les habitudes et les coutumes anglaises sont bien représentées dans Paddington ? Et qu’aimez-vous tout particulièrement chez les Anglais ?
G.G. : Je trouve qu’elles sont très bien représentées, mais justement, la qualité du film par rapport au livre, je trouve que le film se dégage de cette limitation au « folklore » britannique. Ça y est, mais ce n’est pas un code permanent et obligatoire. Ca y est parfois en référence et de manière assez drôle, mais ce n’est pas aussi présent que dans les livres, je trouve que du film se dégage une poésie un peu plus universelle : le décor de cette maison avec cet arbre dans l’escalier qui fleurit à la fin. Des images qui sont assez merveilleuses et pas seulement « would you like a nice cup of tea ? » (Voulez-vous une tasse de thé ?*). Voilà. Ça y est, mais point trop n’en faut. Misses Bird est d’ailleurs d’une originalité démente, Julie Walters en fait un truc absolument génial et moins « uptight » (crispée*) que peut l’être Misses Bird dans la collection de livres.
Ce que j’aime chez les Anglais ? Je ris tous les jours en Angleterre, ce que les Anglais appellent « sense of humor and wicked » (très bon sens de l’humour*). Il y a un esprit et un humour, pas un esprit, un humour anglais qui me fait rire. C’est ce qui me manque le plus quand j’en suis loin, c’est ça. Et puis la langue anglaise, je parle anglais à mon fils vu que je parle anglais quotidiennement, mais d’entendre l’anglais, ça me manque parce que la tonicité de la langue, c’est une langue qui est quand même synthétique, rapide, tonique, et puis c’est une langue où tout mot peut-être un verbe, donc c’est une langue qui peut être très active, on peut transformer tout mot en verbe. C’est ce qui me vient à l’idée, après le côté « cosy », « nice cup of tea », le plaid, les scones, tout ça j’adore, mais voilà je suis ravi en même temps d’habiter Paris, de ne pas avoir une pression d’eau de douche aussi nulle, de ne pas me brûler les mains dès que je veux avoir un peu d’eau chaude aux robinets, car l’eau froide et l’eau chaude sont forcément séparées en Angleterre et que du coup « Ah ah » (il mime le fait de se brûler). Il y a plein d’autres avantages après à être en France et pas à être en Angleterre. Ce n’était pas la question.
Vous avez évoqué votre fils, est-ce qu’il l’a vu ?
G.G. : Non, je l’emmène dimanche. Mais ça y est, on déjà dans les bouquins, il est à fond, il est Paddington, moi je suis Mister Brown, en plus on vient d’acheter un chien, donc l’idée d’un animal à poil dur, on connaît.
Vous lui avez dit que ça sera votre voix dans un corps d’ours ?
G.G. : Ça je lui ai déjà dit, parce qu’en fait il avait vu Peabody et au dernier tiers du film, on pense que Peabody est mort. Et mon fils a retenu, retenu, retenu et au moment où la salle s’est rallumée, il a explosé en sanglots pendant 15 minutes. Donc là je l’ai prévenu, je lui ai dit : « attention, à un moment, on a peur, on a très peur », parce qu’il y a des moments qui sont émouvants. Voilà, je l’ai prévenu, car je ne m’attendais pas du tout à cette réaction. Ça m’a vraiment « overwhelmed » (bouleversé*). Mais il est content.
Mais papa est dedans ?
G.G. : Ah ça je n’y pense pas, je ne le projette pas du tout sur lui, c’est plus le ludisme de la chose, du sujet, du film, ce qui peut raconter de moins drôle, mais d’intéressant et puis je lui raconte les doublages, je lui fais faire des doublages en rigolant : « tu peux me le jouer, hmmm, il a peur. Ouais, maintenant la même phrase, mais il est super content. Pas mal. ». C’est juste de l’amusement.
Le doublage des acteurs était déjà fait lorsque vous avez doublé ?
G.G. : Non. Je l’ai fait seul, mais ça je n’ai pas besoin, et puis je suis bilingue. Et j’écoutais en anglais, je sentais bien l’énergie ou pas. D’ailleurs, l’énergie que je mets dans le Paddington en français, n’est pas du tout la même que l’acteur anglais. Enfin je trouve. Lui est vachement sur la réserve. Je le trouve assez grave, plus posé que ce qui m’est venu et puis parce qu’il y a une tonicité qui est écrite dans la langue anglaise et qu’il faut décider en langue française. On est la seule langue où l’accent tonique est libre de choix. Ça varie beaucoup, ça change beaucoup, c’est à l’acteur de décider où il va tonifier la phrase, alors qu’en anglais c’est d’office.
Est-ce que vous pourriez nous donner votre point de vue sur la polémique vis-à-vis de la censure britannique, l’insinuation sexuelle, ce qui nous paraît en France disproportionné ?
G.G. : Vous voulez vraiment mon avis là-dessus ? Mon avis, ça serait que j’aimerais bien que les personnes qui ont pris cette décision, consultent, je crois qu’on pourrait commencer par deux séances par semaine, ça me paraît raisonnable. Après, plus largement, le politiquement correct me gave, mais il est la conséquence de choses qui parfois sont aussi positives. […] Après, on doit protéger nos enfants au risque de les bêtifier[…]. Non, mais la référence sexuelle de la scène de Hugh Bonneville, c’est drôle de différencier le déguisement à partir du moment où il s’agit d’un travestissement. S’il y a bien un âge où on se déguise, c’est bien dans l’enfance, après on le fait moins, à tort, c’est drôle les soirées à thème, mais ça peut mal tourner (rires), je ne vois pas pourquoi vous riez. Je ne comprends pas, cet excès de zèle qui est vraiment mal tombé. Après qu’on n’emmène pas un enfant de moins de 5 ans, moi je comprends, dans le film il y a des choses un peu dures. Si j’avais un enfant de moins de 5 ans, je ne l’emmènerais pas, mais à partir de 5 ans, ça va. Mais là, « parental guidance », c’est compliqué, mais bon. Il y a tellement d’abus, c’est ça aussi le problème. C’est presque un message politique pour dire attention, mais à ce moment-là, qu’ils disent attention sur certains sites internet, en même temps quand on autorise les kiosques à journaux à afficher en extérieur de kiosque, à hauteur d’enfant, des couvertures de magazines porno, est-ce qu’on peut juste être un tout petit peu cohérent ? Je ne sais pas si cette info est juste pour l’Angleterre, il faudrait vérifier. Puritains, je ne suis pas sûr.
Je voulais sortir un peu de Paddington et vous demander quels sont vos projets en tant que réalisateur ? Par exemple, un film en anglais pourquoi pas ?
G.G. : Alors on m’en a proposé un, enfin plusieurs, il y en a un que je vais lire, mais je ne me vois pas accepter un film de commande avant d’avoir réalisé mon second film que j’ai en tête depuis 12 ans, que j’écris en ce moment, mais que je ne tournerai pas avant l’automne 2016, pour deux raisons : la première, c’est que cette année, j’avais des engagements auprès du Français qui étaient de longue date, que ce soit Lucrèce ou la reprise d’Oblomov en tournée et au Vieux Colombier en janvier, la reprise de Lucrèce finalement en avril et Fil à la patte en juin. J’ai accepté deux longs métrages en tant qu’acteur en 2015, février-mars et septembre-octobre, je suis en tournage. Mais après, en novembre 2015 jusqu’en juillet 2016, je voulais être disponible pour la première saison programmée par Eric Ruf, qui est notre nouvel administrateur général, voilà je voulais être disponible pour sa première proposition artistique. Ça ne sera pas avant 2016 le tournage, donc il ne sortira pas avant 2017. Mais c’est une histoire que je porte en mois depuis 12 ans.
Ça parlera de vous ?
G.G. : Non, non pas du tout. En même temps Truffaut disait qu’on fait toujours le même film. C’est tiré d’une histoire vraie qu’une amie m’a racontée il y a 12 ans, sa vie, et cette histoire ne m’a pas quitté depuis, je la porte en moi, j’ai l’impression de connaître chaque silence, chaque respiration. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a grandi dans une famille qui ne parlait pas, des personnes qui vivaient les volets clos, et qui à 20 ans, a pris son baluchon, est montée à Paris pour être comédienne, sauf qu’elle n’avait pas les mots pour se défendre. Et voilà, ça m’a toujours touché les gens qui n’avaient pas les mots pour se défendre, un grand bavard comme moi. C’est une personne modeste, humble, très humble, elle est modeste aussi socialement. Ça demande beaucoup de travail, car je ne le suis pas du tout et il faut que je rentre là-dedans, je cherche comment filmer la simplicité, la pauvreté aussi, enfin la simplicité en tout cas, sans que ce soit glauque. Et pour l’instant l’auteur que je suis est partagé entre l’homme d’images et l’homme de lettres, et donc j’écris des transitions, des liens beaucoup trop littéraires que je raye, parce que ce j’aime au cinéma c’est l’ellipse et donc il faut que je trouve l’ellipse qui n’est pas littéraire, qui n’est pas explicative, mais qui se fait soit à l’image, soit contre l’image, parfois ça peut être un cut. Donc je cherche ça dès l’écriture pour ne pas dépenser de l’argent inutilement. Parce que le sujet est humble, j’aimerai que le budget le soit aussi. Je trouve ça important. Mais je n’ai pas été élevé pour faire avec les moyens, donc il faut que j’apprenne. En tant que co-producteur, je m’y atèle dès l’écriture pour ne pas avoir à me dire à moi-même : « bah faut couper mon gars ! ».
Un grand merci à Way to Blue, Studio Canal et Mondocine d’avoir pensé à moi !