d'après DÉCOUVERTE de Maupassant
Sur le bateau qui va
De Cannes à Bastia:
J’ai rencontré Paul Ferry,
Un vieil ami.
Je ne l’avais pas vu depuis dix ans.
Tout en causant,
Nous regardions les passagers.
Soudain, Paul me dit :
-« Ici,
C’est plein d’Anglais !
Oh ! Les sales gens ! »
Les gentlemen, debout, lorgnaient
L’horizon d’un air important.
Les jeunes misses, les épaules serrées
Dans des châles aux couleurs délavées,
Portaient des chapeaux tarabiscotés.
Les vieilles misses aux visages émaciés
Paraissaient menacer
La mer de leurs dents jaunes et démesurées.
Paul répéta :
-« Oh ! La sale engeance !
Ne pourrait-on pas
L’empêcher de venir en France ? »
Je lui demandai :
-« Pourquoi en veux-tu aux Anglais ?
Moi, ils me sont parfaitement
Indifférents. »
Paul ajouta :
-« Peut-être pour toi
Mais j’ai épousé une anglaise, moi. »
-« Ah ! Diable. Et elle t’a trompé ? »
-« Non,…elle apprend le français !
Je n’avais aucune envie de me marier
Quand, voici deux ans,
Je vins passer l’été
À Fécamp.
J’y ai rencontré
Un ménage anglais
Dont la fille était une merveille,
Un ange venu du ciel.
Une blonde
Aux yeux bleus,
De ces yeux bleus
Qui semblent contenir toute la poésie,
Toute l’espérance, tout le bonheur du monde !
Quand elles se mettent à être jolies,
Les anglaises, ces gredines,
Elles sont divines.
Ce qui m’a le plus séduit, c’est …son…
Défaut de prononciation.
Quand elle faisait une faute de français,
Elle était exquise et quand elle baragouinait
De façon inintelligible,
Elle devenait irrésistible.
Quand elle disait : « J’aimé bôcoup la gigotte. »
Mon cœur s’enflammait, saperlotte !
Je ne la comprenais pas au début
Tant elle inventait des mots inattendus.
Puis je devins absolument amoureux
De son jargon comique et gai.
Sur ses lèvres, tous les termes estropiés
Prenaient un charme délicieux.
Le soir, nous avions
De longues conversations
Qui ressemblaient à des énigmes parlées.
Je l’ai épousée !
Je l’ai aimée follement
Comme on peut aimer un Rêve.
Car les vrais amants
N’adorent jamais qu’un rêve
Qui a pris la forme d’une femme.
Tant que ma femme
A martyrisé
Le dictionnaire
Et supplicié la grammaire,
Je l’ai adorée.
Le tort que j’ai eu, ce fut de la confier
À un professeur de français.
Elle parle à présent,
Français à peu près correctement
Mais elle est devenue un perroquet
Et je ne peux plus la supporter. »
-« Où est ta femme ? »
-« Je l’ai laissée chez ses parents à Cannes.
Et je vais me changer les idées
Dans l’île de Beauté. »