Je vais sortir un peu de ma ligne éditoriale habituelle pour écrire une série de billets sur le système médical québécois, ce gros mammouth qui est entrain d'exploser dangereusement le budget de l'État et dont on ne dénonce pas suffisamment les travers. Compte tenu de l'actualité, la première question que je vais aborder : la productivité des médecins.
Même si les autres sociétés développées dépensent une plus petite fraction de leur revenu que le Québec en santé, certaines ont néanmoins des systèmes nettement plus performants que le nôtre. Selon une analyse des professeurs Pierre Fortin et Luc Godbout, La France et la Belgique, deux pays culturellement proches du Québec, offrent des exemples intéressants. Bien que leurs populations soient plus vieilles, donc en principe plus coûteuses à soigner, les dépenses de santé en France et en Belgique sont inférieures à celles du Québec (en dollars à pouvoir d'achat comparable). En 2007, c'était 4355 $ par habitant dans ces deux pays, contre 4420 $ au Québec. Cela n'a pas empêché l'Organisation mondiale de la santé de leur accorder de meilleures notes pour la performance globale de leurs systèmes de santé. L'OMS place le système français au premier rang mondial, le Canada au 30e rang et la Belgique quelque part entre les deux.
Les Belges ont accès à 74 % de plus de médecins par habitant que nous; les Français, à 45 % de plus. Imaginez un Québec où l'on aurait accès à 45 % de plus de médecins et où l'accès à un médecin de famille serait garanti sans délai! Dans ses hôpitaux de soins de courte durée, la Belgique met à la disposition de ses citoyens deux fois plus de lits que le Québec; la France en met 65 % de plus.
Au début 2013, le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec a publié la cinquième édition d'un sondage du Commonwealth Fund et du Conseil canadien de la santé. Ce sondage analyse la perception qu'ont les médecins de première ligne de la qualité de soins de leurs systèmes de santé nationaux respectifs. On y compare le système de santé québécois à celui des autres provinces canadiennes et d'ailleurs dans le monde. La perception du système de santé québécois qui en ressort est assez négative. Le système de santé canadien est en queue de peloton par rapport à d'autres systèmes de santé nationaux. Quant au Québec, il traîne de la patte par rapport à plusieurs autres provinces canadiennes. Pour lire l'intégralité du sondage, cliquez ici. La productivité des médecins québécois en cause
Les 2 graphiques ci-dessus montrent que le médecin québécois travaille en moyenne 34,9 heures Vs 49,9 heures par semaine pour le Français, donc un énorme 15 heures de moins. Résultat de la course, vous avez 7% de chances de voir un médecin le même jour au Québec contre 87% de chances en France. Et pourtant, le médecin français gagne presque 3 fois moins que le médecin québécois. Le salaire moyen d’un médecin libéral (au privé) est de 94 141 euros (soit environ 130 000$ CAN). Selon les données de la RAMQ, au 31 mars dernier, le revenu brut moyen des omnipraticiens se chiffrait à 263 673 $. Les frais de cabinet correspondaient à 44 473 $ en moyenne, ce qui signifie que le revenu net moyen des médecins de famille atteignait 219 200 $. Pour les médecins spécialistes, le revenu brut moyen s’établissait à 384 129 $, au 31 mars. En retranchant les frais de cabinet moyens de 28 091 $, les spécialistes récoltaient 356 038 $, en moyenne. C'est plus de 8 fois le salaire moyen québécois.
Selon le chercheur Damien Contandriopoulos et à la lumière des données de 2012 de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), la productivité des médecins québécois recule, alors que leurs revenus croissent. « La baisse de service équivaut à la perte de 32 omnipraticiens par rapport à 2007, et de 223 spécialistes », selon le chercheur à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal. Problème : depuis 2007, nous avons pourtant 662 médecins de famille et 1166 spécialistes de plus dans le réseau, calcule-t-il.
Ces chiffres démontrent bien que le Québec ne souffre pas vraiment d'une pénurie de médecins mais d'une grande baisse de l'intensité de pratique et de la productivité de ses médecins. Cela prendra une sérieuse reforme pour renverser cette tendance néfaste à la viabilité de notre système médical.