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un perroquet sème la panique à Concarneau

Publié le 29 novembre 2014 par Dubruel

LE NOYÉ

(I)

Louis Patin, marin-pêcheur, fréquentait

Le cabaret du père Darfeuil. Il buvait

Aux jours ordinaires

Quatre ou cinq verres de fil en six

Et parfois plus de dix,

Ses jours de chance en mer,

La fille Darfeuil servait les clients.

Elle attirait le monde au café

Par sa bonne mine uniquement

Car, sur elle, on n’a jamais jasé.

Quand Patin allait dans ce cabaret,

Il était content de la regarder.

Au premier verre de fil,

Il la trouvait gentille.

Au second, il clignait de l’œil.

Au troisième, il disait :

-« Si vous vouliez, Mam’zelle Darfeuil… »

Au quatrième, il essayait

De la retenir pour l’embrasser.

Puis ils se sont mariés.

Mais une semaine près,

Patin ne comprenait

Plus du tout

Comment il avait pu croire sa femme,

Différente des autres femmes.

Fallait-il qu’il eût été fou

Pour s’embarrasser

D’une sans-le-sou qui l’avait enjôlé.

Il ne tarda guère

À la traiter comme la dernière

Des dernières. Et pendant dix ans,

On ne parla à Fécamp

Que des tripotées

Que Patin lui flanquait.

Patin jurait d’une façon particulière

Avec une richesse de vocabulaire

Et une puissance de sonorité

Qu’aucun autre homme ne possédait.

Il vociférait :

-« Ah ! Sans-le-sou. Ah ! Va-nu-pieds. »

Elle, vivait dans une épouvante

Incessante,

Dans un tremblement continu,

Dans une attente éperdue

Des rossées

Que Patin allait lui infliger.

(II)

Une nuit, alors que son homme était en mer,

Elle fut réveillée par un coup de vent,

Un mugissement effrayant,

Qui secouait la maison tout entière.

Elle se leva et courut au port de Fécamp.

La tempête amplifiait fougueusement.

Onze marins ne revinrent pas,

Et Patin fut de ceux-là.

On retrouva des débris de son bateau,

La Belle Guêpe,

Du côté de Dieppe.

On repêcha, les corps de ses matelots

Mais jamais on ne découvrit

Le corps de Louis.

Peu à peu, la mère Patin s’habitua

À la pensée qu’elle ne le reverrait pas.

Quatre ans après la disparition de Patin

Elle entra un matin

Chez un oiseleur :

-« Trois francs !

Ce perroquet, lui dit le vendeur ;

Et il parle comme un avocat,

Trois francs ! »

Elle l’acheta et rentra.

Dès le lendemain,

Elle entendait la voix de Patin :

-« Charogne, vas-tu te lever ! »

Son épouvante fut telle qu’elle se cacha

Sous ses draps.

Un autre matin,

Son défunt mari hurlait :

-« Lève-toi, crève-la-faim ! »

Elle, murmura : ’’ Seigneur, le v’là ! ’’

Elle sortit du lit

Mais n’entendit plus aucun bruit.

Néanmoins, sûre qu’il était là,

Guettant, prêt à la rosser,

Elle le chercha,

Ne vit rien, et pensa :

’’ Il est quelque part mais caché.’’

À peine était-elle recouchée

Qu’éclata, tout près,

La voix de Patin qui vociférait :

-« Nom d’un nom,

D’un nom, d’un nom !

Vas-tu te lever ? »

Elle bondit hors du lit

Et dit :

-« Qué que tu veux, Louis ? Me v’là. »

Mais son mari ne répondait pas.

Par contre, elle vit que le perroquet

La regardait

-« Ah ! c’est toi ! » A-t-elle murmuré.

-« Attends, je vais

T’apprendre à fainéanter ! »

Reprit le perroquet.

Elle comprit

Que Louis,

Caché dans les plumes de l’oiseau,

Recommençait

À la tourmenter.

Alors, prise de rage,

Elle ouvrit la cage

Et tua le volatile d’un coup de couteau.


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