Auteurs : Edgar P. Jacobs Editeur : Lombard Année : 1974 Résumé : La Norlandie a inventé le Rayon U mais a besoin d'Uradium pour continuer les essais sur cette incroyable découverte. Le Professeur Marduk, accompagné de Lord Calder et son fidèle Adji, de la belle Sylvia Hollis, du major Walton et de son inséparable sergent Mac Duff partent vers le mystérieux volcan d'Urakowa pour localiser un gisement secret repéré par feu Hollis, le père de Sylvia et ami de Marduk. Malheureusement, ce périple va sérieusement se compliquer car l'Austradie, pays rival dirigé par Babylos III, a donné les pleins pouvoirs au félon capitaine Dagon pour détruire l'expédition ! Mon avis : Cette BD date de la seconde guerre mondiale, grande époque des sérials tels Flash gordon ou Mandrake le magicien. Jacobs mélange incroyable exploration, civilisations inconnues, technologies avancées, nature hostile et races étranges. Le tout bien secoué et légèrement frappé nous donne ce curieux Rayon U. Avec une introduction de Greg - Le légendaire papa d'Achille Talon - , cette vieille édition repositionne la BD dans son contexte. En la relisant, j'ai senti la patte des années cinquantes qui aujourd'hui paraît bien vieillote avec ces histoires éculées de civilisations primitives. Il ne manque que la magie. Mais on retrouve surtout la patte de Jacobs et son style, qui s'installera durablement avec la série Blake et Mortimer. Grande plâtrée de texte descriptive, ambiance mélangeant science-fiction, archéologie, espionnage, et aussi des personnages manichéens. Ne croyez pas que je médis, j'adore Blake et Mortimer et on retrouve dans ce Rayon U les archétypes qui donneront Olric (le capitaine Dagon), le capitaine Blake (Lord Calder) et le professeur Mortimer (Professeur Marduk). C'est assez curieux. L'intrigue en elle-même est simple – non, j'ai pas dit simpliste – faut retrouver l'Uradium. Et en plus de se battre contre l'inconnu, faut se débarrasser de l'odieux Dagon ! Ce qui peut donner lieu à des situations assez obscures, par exemple : Nos héros traversent un fossé et se retrouvent face à un serpent géant (sans doute les effets de l'Uradium :^) - mais vraiment géant, plutôt titanesque, quoi ! - n'écoutant que leur courage, ils fuient. L'un dit « longeons le précipice, c'est plus praticable » et après un temps – même une course - de « plus d'un mille », ils se retrouvent à leur point de départ... Face au serpent ! Conclusion « Nous nous trouvons bloqué sur un îlot rocheux ceinturé par ce précipice ». Jusque là, tout va bien. Quand Mac Duff débarque et lance « j'ai trouvé un torrent dont nous pouvons suivre le lit » Hein ? Un torrent que personne n'a vu en faisant le tour de l'îlot rocheux ? Passons. Nos héros le suivent et sont tout étonnés de découvrir que ce torrent finit... en cascade ! Ben oui, c'est un îlot rocheux dont vous venez de faire le tour, les gars. En lisant bien, vous trouverez quelques autres petites perles comme cela. Je ne peux m'empêcher de citer le lancement de l'histoire, quand, dans un monde de science-fiction, le félon envoie une lettre manuscrite à son roi – le cachet de la poste galactique fait-il foi ? - pour le tenir informé de sa mission. Ca fait « so » Errol Flynn !
En fait, nos héros vont de périple en périple, passent les difficultés pour retomber dans d'autres difficultés. Tout cela s'enchaîne sans grand lien et surtout sans gradation dramatique. Le cas des incroyables hommes-singes est assez curieux. Tout d'abord, il faut reconnaître qu'ils ont une bonne bouille et qu'il faut bien le texte des encadrés de Jacobs pour comprendre qu'ils sont sanguinaires et dangereux - voire même méchants -. Et surtout, comme ils ne parlent pas notre langue, Jacobs utilise les cadres pour expliquer tout ce que font ces pauvres bêtes: lui c'est le roi, là, une partie d'entre eux se rebelle, ici, ils se disputent, là, ils la prennent pour une déesse, maintenant, tout le monde danse... C'est assez curieux comme procédé et aujourd'hui, avec notre regard moderne, cala a tendance à nous faire sortir de l'histoire. Enfin, moi, en tout cas. Jacobs a nommé sa BD Rayon U, alors qu'on se rend compte que le Rayon U est un peu le Mac Guffin de l'histoire. Il faut de l'uradium pour le faire tourner et toute le récit repose sur la quête de cet uradium, mais nous ne saurons jamais à quoi sert le Rayon U ! Jacobs se lâche donc dans la dramaturgie et essaye tout un tas d'univers qui lui plaisent, mais ces premiers pas lui permettent de poser les mondes qu'il va explorer au travers de Blake et Mortimer. Le Piège Diabolique, le Mystère de l'Atlantide, le Secret de l'Espadon entre autres ont leurs racines dans les forêts de l'Urakowa. Il faut lire cette BD pour ce qu'elle est: une fantastique plongée dans la genèse de Blake et Mortimer, les jalons farfouillis d'une série solide et cohérente (enfin, à quelques exceptions près). La présence de Sylvia et la princesse Ica, sont à retenir : Des caractères féminins qu'on ne reverra pas de sitôt avoir des rôles clés chez Blake et Mortimer ! Point de vue graphique, la patte de Jacobs est déjà bel et bien là ! Personnages réalistes, aux poses parfois un peu figées et aux attitudes marquées. Des décors eux aussi réalistes fouillés et travaillés avec beaucoup de soins. Des couleurs extrêmement réelles mélangeant des ambiances marquées - revoyez le tronc enflammé qui s'effondre ou les yeux de la montagne – et des ciels rouges sans raison apparente. Un cadrage carré, généralement trois bandes de trois cases avec des variantes, des bandes de deux cases, ou un grande case verticale coupant la page, mais tout tourne toujours autour de ce gabarit, trois bandes de trois cases, où parfois certaines cases sont jointes. Il est quelques rares exceptions. Il manque ces dessins qui feront le sel de Blake et Mortimer, en demi-page, voire en pleine page ! Mais Jacobs tâtonne beaucoup moins aux pinceaux qu'à la plume et vous ne pourrez ouvrir cette BD sans reconnaître la patte de l'auteur de Blake et Mortimer. Le Rayon U est donc une curiosité qui permet de découvrir la naissance indirecte d'une série aujourd'hui culte, de comprendre ce qu'était la fiction dans les années quarante, mais de là à dire que c'est le premier chef d'œuvre de Jacobs, je trouve que c'est aller un peu loin. Dramaturgiquement faible, Le Rayon U est une sorte de voyage dans le temps, non vers le futur, mais plutôt dans le passé. Un voyage à savourer avec candeur et sans a priori, pour mesurer le chemin parcouru depuis. Zéda rencontre Lord Calder !